Interview de David Guéranger, auteur du rapport « Le DGS de communauté, trajectoires et pratiques professionnelles », chercheur au LATTS (Laboratoire Techniques, territoires et sociétés, université Paris-Est Marne-la-Vallée) et maître de conférences de l'École des Ponts.


Quel enseignement vous a particulièrement surpris lors de l'élaboration de l'étude que vous avez consacrée aux DG d'intercommunalité ?

J'ai été surpris de trouver des traits convergents, malgré la grande diversité des parcours et des profils de mes interlocuteurs. Tout au long de cette enquête, je me suis étonné d'entendre des gens qui ne se connaissaient pas faire des déclarations très similaires. J'ai eu l'impression de faire une vraie découverte sociologique. Puis je suis tombé ensuite sur le manifeste de l'ADGCF, où j'ai retrouvé beaucoup de ces éléments communs. Donc au final, je me suis demandé si c'était une « vraie » découverte sociologique, ou le fruit d'une communication efficace de l'association…

 

Et alors ? Quelle réponse apportez-vous à cette question ?

Si à première vue tous les DG interrogés se présentent comme des atypiques, il en existe en fait plusieurs types. Plusieurs types d'atypiques (!) en quelques sortes. Un facteur important de différenciation est générationnel : d'un côté, des dirigeants qui ont entre 50 et 65 ans, qui ont vécu le grand mouvement de développement de l'intercommunalité avec les lois de 1999, qui occupent leurs fonctions depuis plusieurs années, plus sédentaires ; de l'autre, des dirigeants plus jeunes, plus diplômés, qui mettent en avant leur polyvalence fonctionnelle et institutionnelle, leur mobilité géographique. Cette division entre des « précurseurs » et des « tout-terrains » emporte avec elle de nombreuses conséquences sur le rapport aux élus, aux agents, et à l'intercommunalité.

 

Ce clivage générationnel annonce-t-il des changements ? Par exemple, depuis 30 ans, on souligne souvent la politisation des DGS. Est-ce un phénomène qui tend à s'amplifier ?

Cela dépend du sens qu'on donne à cette politisation. Par exemple, on peut constater que le DGS doit plus souvent composer avec un directeur de cabinet, ce qui l'oblige à délaisser des tâches qu'il pouvait prendre en charge auparavant (communication, gestion de l'agenda). En parallèle, il me semble que l'apolitisme revendiqué par les DGS d'interco a encore de beaux jours, ne serait-ce que parce que l'étiquette politique est encore largement considérée comme un « stigmate » dans une carrière. Je ne crois donc pas trop à l'idée d'une progression du spoil system, qui est revenue fréquemment lors des entretiens. Ce que montrent les statistiques, c'est que la mobilité se généralise, alors qu'il y a encore quelques années le maintien en poste était la règle, même en cas d'alternance politique. Il faut donc distinguer à mon avis deux phénomènes concomitants : la « partisanisation » de la vie politique locale, et le développement de la mobilité chez les dirigeants. Ceux qui hurlent au spoil system considèrent qu'ils sont intimement liés, mais je ne crois pas que ce soit le cas : l'un s'explique par les transformations des règles du jeu politique, une concurrence plus forte qui peut de moins en moins se passer des ressources partisanes ; l'autre découle de la manière dont la profession de cadre dirigeant se codifie et se normalise. L'un n'est pas la cause de l'autre : ces mouvements sont concomitants mais ne s'expliquent pas mutuellement.

 

L'étude sera également publiée sous forme d'ouvrage aux éditions Berger Levrault. Quelles sont les différences entre le rapport d'étude et le livre ?

Le livre sera beaucoup mieux, bien sûr (!). Bon, j'ai passé pas mal de temps à réécrire, en essayant d'insuffler plus d'idées, plus d'exemples, plus de statistiques, et en réduisant les verbatim d'entretiens. J'ai été par exemple beaucoup plus sensible aux éléments de contexte. Période de campagne électorale, 3ème tour intercommunal, délai réglementaire avant les décharges de fonctions et réformes institutionnelles sont des éléments que j'interroge plus. Ils permettent notamment de comprendre les références au Manifeste : dans un contexte de grande fragilité, il y a là des formes d'affirmation et de réaffirmation de sa légitimité, de sa spécificité, parce qu'elle est mise en danger. C'est un peu une tentative pour fermer l'accès au marché de l'emploi alors qu'il s'ouvre de toutes parts : avec les fusions, avec l'arrivée d'agents de l'Etat, avec des profils d'agents plus politisés. Ce qu'on mesure avec ces références fréquentes au manifeste, c'est donc peut-être moins l'efficacité de la com' de l'ADGCF – je suis désolé – que ce sentiment de fragilité inédit.

 

[26/04/2016]