6 questions à François Victor, directeur associé du cabinet Horwath HTL, cabinet de conseil en tourisme, loisir et hôtellerie et Maxime SENO du Groupe LLC Avocats.


Combien y a-t-il d'intercommunalités concernées par le transfert de la compétence tourisme ?

Sur les quelques 2 100 EPCI à fin 2015, plus de 1 600 ont au moins un office de tourisme sur leur territoire et ne sont pas directement concernés par l'exercice de la compétence tourisme.

Parmi eux, nous estimons que plus de 700 EPCI ont déjà acquis la compétence tourisme, ce mouvement ayant été initié au début des années 2000, principalement dans les territoires ruraux.

Il reste donc environ 900 EPCI concernés par le transfert de compétence, dont 85% sont des communautés de communes et 15% des communautés d'agglomération. Ces nombres sont susceptibles de diminuer avec les regroupements de collectivités qui restent à effectuer.

Si le nombre des communautés concernées par le transfert de la compétence tourisme est important, le poids qu'elles représentent dans l'économie touristique l'est bien plus encore, puisque l'on trouve dans ces territoires aussi bien de grandes villes très touristiques comme Paris, Marseille, Toulouse ou Lille ainsi que la plupart des stations balnéaires et de montagne. Globalement les territoires sur lesquels la compétence tourisme n'a pas encore été transférée aux intercommunalités concentrent plus de 70% des lits marchands et 74% des résidences secondaires, ce qui donne une idée de l'importance des enjeux.

 

Quels problèmes peut poser le transfert de compétence ?

On observe effectivement beaucoup d'interrogations, voire de résistance, de la part des élus des communes comme des intercommunalités, face à une situation qu'ils considèrent comme imposée par l'Etat.

Si l'on essaie de porter un regard objectif sur la situation réelle, on voit apparaître deux cas de figure problématiques.

  • Lorsque le tourisme constitue une activité majeure pour une commune de l'intercommunalité, mais pas pour les autres. Cette commune touristique, souvent une station classée, fonctionne sur un mode très différent des autres, un peu comme une entreprise : elle a réalisé d'importants efforts d'infrastructures, elle a développé des compétences, et elle craint d'être « noyée » dans un territoire plus vaste, et sans identité touristique, parce que le pouvoir de décision aura été transféré à une majorité non consciente des enjeux du tourisme.

Et de même les élus des communes non touristiques craignent de devoir payer pour quelque chose dont ils ne profiteront pas puisque les retombées économiques restent concentrées sur la commune touristique.

Ce cas de figure concerne selon nos estimations la moitié des intercommunalités concernées par le transfert de la compétence tourisme.

Le problème est moins crucial dans le cas où la commune touristique fait partie d'une agglomération d'une certaine importance car celle-ci joue déjà un rôle déjà prépondérant au conseil communautaire.

Lorsqu'il a déjà eu lieu, le transfert de compétence s'est généralement effectué sans difficulté majeure aussi bien sur le plan administratif que sur les plans humain, technique et financier, l'office de tourisme intercommunal se retrouvant en charge des mêmes missions mais sur un territoire plus large

  • Le second cas de figure, plus délicat, est celui où l'on trouve sur la même intercommunalités plusieurs communes, souvent des stations de montagne ou du littoral, ont développé leur propre attractivité touristique, Le problème est ici double :
    • Le transfert impliquerait une fusion « d'entreprises stations » qui ont du mal à se considérer autrement que comme concurrentes.
    • Et ce au bénéfice d'une intercommunalité dont la légitimité en matière de tourisme est contestée, à plus forte raison lorsque le périmètre intercommunal ne correspond pas toujours à une destination reconnue par les touristes.

C'est tout l'enjeu de la dérogation prévue pour les stations classées qui permet aux communes de conserver un office de tourisme intercommunal à compétence locale. Voire même un office de tourisme à part entière si les annonces faites récemment sont confirmées par un texte de loi.

 

La loi est-elle suffisamment précise ?

En effet, le texte ne règle pas les questions matérielles que doivent gérer les élus eux-mêmes à l'échelle de leurs territoires (où implanter l'office du tourisme intercommunal ?, comment s'assurer que l'office du tourisme intercommunal assure la même représentation pour toutes les communes membres de l'EPCI ?, etc.).

C'est probablement ce qui provoque les quelques « crispations » visées supra, mais on doit ajouter que ce n'est ni le rôle du législateur, ni celui de l'Etat, que de répondre à ces questions.

La seule obligation, impératif catégorique indiscutable, posée par le législateur porte sur la nature intercommunale de l'échelon au sein duquel s'exercera demain la compétence dite de « promotion du tourisme ».

Cette obligation respectée, le texte n'est pas d'une redoutable prescription.

Cela autorise donc les élus locaux à une certaine forme d'imagination et d'audace pour repenser le modèle local, et pour mettre en place à la fois de nouvelles synergies.

 

La possibilité laissée aux stations classées de conserver leur office de tourisme permet-elle de régler les problèmes?

C'est ce qu'espèrent le législateur et les élus des stations classées. Mais il est encore trop tôt pour dire si cette disposition permettra de régler les problèmes, tout simplement parce qu'elle n'a pas encore connu d'application réelle.

La cohabitation d'un office de tourisme intercommunal « central » et d'un ou plusieurs office(s) de tourisme également intercommunaux mais à compétence locale peut poser problème – ou pas. Tout dépend du contexte local mais surtout de l'intelligence collective et du pragmatisme que les élus puis les directeurs d'offices de tourisme mettront en œuvre sur les différentes missions relevant de la compétence tourisme.

Prenons quelques exemples :

  • Pour les fonctions d'accueil et d'information, un schéma d'accueil et de diffusion de l'information à l'échelle de l'intercommunalité peut être mis en place avec des structures juridiquement distinctes. Cependant, le fait qu'il n'y ait qu'un seul employeur est susceptible de faciliter une répartition du personnel entre les points d'information.
  • La question de la promotion renvoie naturellement à celle des marques de territoire pertinentes et de qui doit les gérer. S'il n'y en a qu'une, par exemple une station de montagne de renommée internationale, il semble logique que cette compétence soit gérée par l'office de tourisme à compétence locale. S'il y en a plusieurs, ce devrait être plutôt à l'office intercommunal de gérer le panier de marques selon une démarche marketing en fonction de la période de l'année et du marché visé.
  • S'agissant de la commercialisation des produits touristiques, il nous semble évident que la démarche doit être centralisée pour réaliser des économies et pour être en mesure de proposer une offre d'hébergements et d'activités plus large à la clientèle.
  • Dernier exemple, les manifestations à vocation touristique pilotées à l'échelle communale ont plutôt vocation à rester à ce niveau, sauf si on souhaite qu'elles se déroulent sur un territoire plus large.

On voit donc que dans les cas complexes les maires des communes touristiques et stations classées et les élus intercommunaux – ce sont d'ailleurs les mêmes – devront s'attacher ensemble à construire un projet et une gouvernance touristique en abordant les questions de fond, et pas seulement les problèmes d'ordre statutaire ou réglementaire :

  • Quelle est notre vocation touristique ?
  • Où se trouvent les véritables compétences ?
  • Quelle(s) marque(s) utiliser pour promouvoir notre destination ?

 

Le transfert de compétence est-il générateur de coûts ?

Pour les intercommunalités en Fiscalité Professionnelle Unique, l'opération est neutre sur le plan financier puisque le solde des charges et des recettes transférées est pris en compte par l'allocation de compensation. La difficulté est souvent d'évaluer les charges qui relèvent du budget communal en l'absence de budget annexe.

Et de même pour l'EPCI qui voit les charges dont il hérite compensées par une diminution de l'allocation.

En pratique, il peut y avoir des surcoûts, notamment liés au transfert de personnel, car la négociation avec le personnel se traduit souvent par un alignement sur les conditions les plus favorables. Mais il peut également y avoir des économies, qui résultent de la suppression des doublons dans les acquisitions et la maintenance des matériels, les éditions, les assurances, etc.

Il faut également être vigilant sur les éventuels investissements non amortis et transférés à l'EPCI.

Et surtout le transfert est potentiellement générateur de recettes, si l'on profite de l'occasion pour remettre à plat la taxe de séjour à l'échelle intercommunale, dont la perception est loin d'être optimisée dans la plupart des communes où elle est en vigueur.

Tout est une question d'organisation et d'optimisation : si l'intercommunalité décide de conserver des offices de tourisme distincts, au lieu de simples bureaux d'information, il est probable que la somme des coûts soit supérieure à la situation avant le transfert de compétences.

D'où la nécessité de réaliser une simulation aussi poussée que précise des différents scenarii étudiés.

 

Le transfert de compétence peut-il être saisi comme une opportunité pour mieux exercer la fonction touristique ?

Absolument, le véritable enjeu est là, souvent masqué par des considérations juridiques ou techniques : il faut s'en saisir pour penser la fonction touristique sur le territoire telle qu'elle sera demain et non telle qu'elle s'est pratiquée jusqu'à présent.

On ne peut pas faire comme si le rôle de l'office, son statut, sa gouvernance devaient rester les mêmes alors que l'univers du tourisme est en complète révolution avec l'arrivée de nouvelles clientèles, la modification des pratiques, la généralisation du digital, l'essor du collaboratif.

Horwath HTL a mené pour le compte d'Atout France une mission prospective sur ce sujet[1]. Elle fait ressortir que la dimension territoriale du tourisme, symbolisée par les offices de tourisme, est bien sûr importante car on va toujours « quelque part », mais elle n'est pas la seule. Il y a tout ce qui se passe en amont sur Internet et les réseaux sociaux, qui va influer sur la façon dont les touristes vont choisir une destination et la consommer. Il y a aussi l'influence croissante des divers « infomédiaires » qui accompagnent les voyageurs dans leur parcours avec des services de guidage, des jeux de piste, la connexion avec les amis avec qui on communique.

L'office de tourisme, qui pouvait encore prétendre il y a quelques années être le seul légitime pour fournir des informations sur le territoire, voit cette prérogative plus que menacée. Il doit être à l'affût de toutes ces pratiques pour chercher à s'insérer dans des réseaux d'information et d'échanges qui sont l'univers de référence des touristes (Facebook, Instagram…). Et il doit aussi accompagner les prestataires touristiques locaux dans cette mutation.

Il en va de même sur les fonctions régaliennes de l'office de tourisme comme l'accueil, où tout doit être repensé en fonction du parcours du visiteur, de ses connaissances, de ses attentes, des relais d'information que constituent les prestataires.

En fait le défi aujourd'hui est moins de transférer la compétence tourisme que de la construire pour les années à venir. Notre recommandation auprès des intercommunalités et communes touristiques est donc de faire coïncider un travail sur l'organisation, imposé formellement par la Loi, avec la définition d'un projet touristique territorial à engager de façon volontaire et concertée. Car l'un ne peut pas aller sans l'autre.



[1] Le numérique et les offices de tourisme – Publié par Atout France, 2011

[26/04/2016]