« Où s'est-on trompé ? »

Sommes-nous allés trop vite ? Avons-nous été trop lents ? Avons-nous été trop « technos » ? Trop « intellos » ? Ou alors trop « terre à terre » ? Bref, où s'est-on trompé ?
C'est ainsi que les membres des instances nationales de l'ADGCF ont interpelé les chercheurs et experts réunis au sein du Conseil Scientifique de notre Association.


Le constat dressé en introduction du séminaire organisé le 12 mai dernier et intitulé « Intercommunalité 2022-2027 : stop ou encore ? » : l'intercommunalité, au regard de l'éventail de politiques territoriales qu'elle a déployé au cours de ces dernières décennies, s'est indiscutablement imposée comme un maillon essentiel, utile, dans la chaîne de production du service public.
Et pourtant, force est de constater que la notion de « communauté » n'a pas vraiment réussi à faire son « trou » dans la culture politique territoriale. Oui, le « couple communes-communauté », plus communément désigné aujourd'hui sous le vocable de « bloc local », n'est toujours pas parvenu à s'installer dans notre conscience collective. La faute à qui ? Probablement à la toute-puissance des corporatismes territoriaux qui structurent notre pays et qui donnent à penser que les échelons de collectivités existent en tant que tels, en dehors de leur population. Mais pas que.

L'échange à bâtons rompus entre les directeurs généraux des communautés et métropoles d'un côté et les politistes, sociologues, géographes et économistes de l'autre, a déjà permis, pour les premiers, d'exprimer certaines frustrations liées à la dégradation symbolique de la dynamique intercommunale - « revenir à une politique de SIVOM n'est pas satisfaisant d'un point de vue du métier » -.
Il a aussi et surtout permis, pour les seconds, de mettre le doigt là où ça fait mal, c'est-à-dire de verbaliser le paradoxe qui caractérise manifestement notre communauté professionnelle… Car pour les représentants du monde scientifique, pas de doute : historiquement, pour une grande partie des managers communautaires et métropolitains que nous sommes, l'intercommunalité, c'était la commune de demain. Les processus de regroupement de communes inaboutis ? Nous allions les concrétiser avec l'intercommunalité, qui incarnerait une forme de fusion rampante, vouée à vider la commune de son sens.
Allez, admettons-le : depuis la fin des années 2000, nous parlions « inter », mais nous pensions « supra »… Sauf que ça n'a pas marché, la commune résiste, au moins politiquement.

Alors quelles options s'offrent à nous ? Bien sûr on peut toujours rêver d'une offensive parlementaire et donc, institutionnelle, qui concrétiserait un saut qualitatif dans le fonctionnement de nos systèmes territoriaux et une meilleure mutualisation et allocation des ressources à l'échelle locale. Mais cette hypothèse se heurte, on le sait, au mur du communalisme ambiant dont le Président de la République réélu peinera à s'émanciper.
Comment, dans ce contexte, définir le mode d'emploi d'un exercice du pouvoir local reposant sur la capacité des communautés et métropoles à renforcer les chaînes de production collective, à mobiliser les ressources de la société locale tout en luttant contre ses vulnérabilités écologiques, sociales, territoriales et démocratiques ? Peut-être, comme l'ont suggéré les membres du Conseil Scientifique de l'ADGCF, en jetant, en pâture, dans le débat public, les problématiques qui entravent le bon fonctionnement de nos institutions locales et, parmi celles-ci, pêle-mêle : le désintérêt manifeste de la classe politique nationale pour les questions de décentralisation ; la dépolitisation et l'hyper technicisation des questions territoriales ; la tension, entre un monde politique qui fonctionne en mode vertical et une société complétement horizontalisée ; l'enjeu du devenir de la commune aussi, dans une architecture des pouvoirs locaux où les intercommunalités exercent 70 % des compétences mais ne bénéficient que de 30 % des ressources financières du bloc local…

In fine, c'est bien l'enjeu de l'évaluation du processus de la décentralisation que l'ADGCF doit mettre sur la table, en s'attachant à respecter une règle essentielle : même dans cette période où elle est régulièrement remise en cause, l'intercommunalité ne doit pas devenir son propre objet. Dit autrement, elle ne doit pas mobiliser toute son énergie sur le maintien de sa pérennité mais bien garder en mémoire que ce sont les usagers et leurs besoins qui doivent constituer l'unique boussole de l'évolution des institutions locales et du contenu des politiques publiques.

 

Yvonic RAMIS, président de l'ADGCF
Hervé BOULLE, vice-président de l'ADGCF

[09/06/2022]