Six mois : c'est le temps donné par le chef de l'État au député de l'Oise et ancien ministre Éric Woerth pour jeter les bases d'une nouvelle étape de décentralisation et de « simplification » de l'action publique locale. Malgré des ambitions réformatrices largement contrariées depuis sa première élection en 2017, Emmanuel Macron envisage donc toujours la possibilité de fédérer les principales forces politiques du pays autour d'un projet de refonte de notre administration locale. Le Président de la République demande ainsi à Éric Woerth de plancher sur « la simplification de l'organisation territoriale en vue de réduire le nombre de strates décentralisées aujourd'hui trop nombreuses et de mieux les articuler entre elles », mais aussi de travailler sur « la clarification des compétences », « l'adaptation des normes », la « valorisation des fonctions d'élus » et « la consolidation des moyens à disposition des collectivités territoriales ». Force est de le constater, le Président de la République ne fait dans la demi-mesure : comme il l'a déclaré le 4 octobre dernier à l'occasion du 65ème anniversaire de la Constitution de 1958, « toute notre architecture territoriale est à repenser » ; « confuse, coûteuse », l'organisation actuelle « dilue les responsabilités », « produit de l'inefficacité pour l'action publique » et nourrit la défiance des citoyens.
Soit. Cette rhétorique sur la nécessaire rationalisation de notre organisation territoriale, on le sait, n'est pas nouvelle. Mieux : elle reprend les principaux axes d'un rapport qui a fait date dans le Landerneau territorial, celui produit, en 2009, par le comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par l'ancien Premier ministre, Édouard Balladur. Souvenons-nous que cet opus mettait déjà à l'index notre administration décentralisée pour sa « complexité » et son « coût », pour « l'insuffisante solidarité entre les territoires » ainsi que pour sa « difficulté à répondre aux besoins des populations ». Souvenons-nous aussi que ce rapport avait une épigraphe pour le moins péremptoire : « Il est temps de décider »... Pourtant, c'était il y a maintenant plus de quatorze ans. On peut donc légitimement se poser la question : est-il encore possible de décider ?
Les premières réactions à la lettre de mission du député de l'Oise ne laissent guère présager de propositions « audacieuses » en matière de réorganisation des territoires. Premier à réagir, le président de l'Assemblée des départements. Craignant manifestement que l'existence des Conseils départementaux ne soit remise en cause, celui-ci a d'ores et déjà fait part de sa grande « inquiétude » tout en s'interrogeant sur l'« utilité » des... Conseils régionaux. La version territoriale du jeu du mistigri en somme. Bref, mis d'emblée sous pression, Éric Woerth a rassuré tout son monde, en déclarant, lors du dernier Congrès des Maires, qu'il n'y aurait aucune suppression de strates de collectivités. Les corporatismes territoriaux ont la peau dure et donnent toujours le sentiment que les échelons de collectivités existent en tant que tel, presqu'en dehors de leur population.
Que peut-on espérer alors ? Rappelons que l'ADGCF n'appelle pas à un « plus » mais essentiellement à un « mieux » en matière de décentralisation, c'est-à-dire à un réel saut qualitatif dans le fonctionnement de nos administrations territoriales et dans notre relation à l'État. A cet égard, le dernier rapport de la Cour des comptes tombe à pic. Il contient précisément un certain nombre de propositions de bon sens à nos yeux, concernant notamment le fonctionnement du bloc local - relance des dynamiques de mutualisation, recomposition de la carte communale, modification des attributions de compensation, refonte de la fiscalité locale en cohérence avec les objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols, etc. Éric Woerth pourrait utilement s'en inspirer. Au-delà, on voudrait suggérer, au député de l'Oise, d'ouvrir un chantier qui dépasse sans doute le cadre de sa mission mais qui constitue, pour l'ADGCF, le préalable à toute définition d'une ligne directrice claire en matière de décentralisation : poser la question de ce qu'a produit la décentralisation, autrement dit, en faire l'évaluation, et ce, autour d'un triple questionnement a minima : la décentralisation a-t-elle permis une meilleure efficience et efficacité de l'action publique ? A-t-elle contribué à consolider la démocratie locale ? Est-elle le gage d'un « plus » de solidarité au sein et entre les territoires ?
Mes cher(e)s collègues, quelle que soit l'issue de la mission Woerth, soyez assuré(e)s que l'ADGCF s'attachera à y faire entendre la voix des directeurs généraux des intercommunalités dans une seule et unique perspective, celle de l'intérêt général.
Régis PETIT Président de l'ADGCF |