« Les collectivités devront participer au redressement des comptes publics » : cette sentence, prononcée par le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, le 6 mars dernier à l'occasion d'une audition parlementaire a fait son « effet » dans le petit monde des associations de collectivités territoriales. Il faut dire que, jusqu'à présent, le Gouvernement disait vouloir préserver les administrations locales des coupes budgétaires, même si, ne soyons pas dupes, les efforts estimés - 10 milliards en 2024 et 20 milliards en 2025 - ne pouvaient indéfiniment les épargner. Le changement de discours est cependant radical et le temps risque bel et bien de tourner à l'orage pour les finances locales et peut-être inciter les collectivités à réduire leur train de vie, si ce n'est à revoir la nature même de leurs dépenses...
A cet égard, les débats qui ont animé les dernières Universités d'hiver de l'ADGCF - qui réunissaient, rappelons-le, les membres du Conseil d'administration de l'Association et ses partenaires - les 8 & 9 mars derniers à Aix-en-Provence, ont mis en exergue une tendance lourde de la dynamique intercommunale, celle de se voir réduite à sa dimension de généreuse « mécène » des communes. Les prises de parole successives de l'Observatoire des Finances et de la Gestion Locales (Thomas Rougier), du cabinet Ecofinance (Éric Tripodi) et de l'Agence France Locale (Olivier Landel) ont ainsi permis d'objectiver l'évolution de certaines administrations intercommunales en « guichets à subventions » (fonds de concours « exotiques », dotations de solidarité relevant d'un droit « coutumier », attributions de compensation sanctuarisées...) au service des municipalités, au risque d'hypothéquer leur capacité à embrasser les grands enjeux écologiques, économiques et sociaux qui déterminent pourtant les conditions de vie futures de leurs habitants. Ne l'oublions pas : si les intercommunalités ont aujourd'hui la responsabilité de 70 % des compétences du bloc local, les communes continuent, elles, à réaliser 70 % des dépenses de ce même bloc local...
Dans ce contexte, comment renouveler le modèle intercommunal, comment lui redonner l'ambition d'être le moteur des chaînes de production collective au service des habitants et la capacité à mobiliser les ressorts et les ressources de la société locale à l'heure des grandes transitions ? Pour le sociologue Jean Viard, qui intervenait en contrepoint de nos échanges sur la « générosité » financière des communautés et métropoles, il faut admettre que nous sommes entrés dans une civilisation écologique et numérique, marquée par l'explosion des mobilités. Ce sont précisément ces dynamiques qui commandent, selon lui, de revisiter l'organisation de nos territoires : au regard de leur faiblesse, il a ainsi plaidé pour des fusions massives de communes - parvenir à la France des 5 000 maires -, des communes qui fonctionneraient comme les arrondissements d'intercommunalités enfin démocratisées ; pour l'extension du modèle de la métropole-département de Lyon dans toutes les capitales régionales ; pour la montée en puissance de départements fonctionnant comme des intercommunalités dans les territoires ruraux... Il s'agit in fine de s'attaquer au manque d'incarnation politique qui caractérise notre pays et de redessiner à ce titre l'architecture de nos pouvoirs locaux. Pour Jean Viard, l'évolution de la carte territoriale doit engendrer un nouveau mouvement de décentralisation, allégeant la charge de l'État, alors recentré sur ses missions régaliennes et son rôle de stratège...
Lucide le sociologue a considéré que ces propositions plutôt « iconoclastes », ne pouvaient que se heurter, pour le moment, au conservatisme et au corporatisme de bon nombre d'associations d'élus. Le tournant annoncé de la rigueur peut-il changer la donne ? Peut-être qu'en étant « à l'os », nos gouvernants seront plus déterminés à réorganiser la machine politique, dans une perspective, toujours, d'intérêt général.
Régis PETIT Président de l'ADGCF |