« Un point d'irréversibilité managériale »
On s'en doutait. Comme l'a annoncé le Président de République, le confinement va durer. Au moins jusqu'au 11 mai prochain. Surtout, sa sortie sera lente et partielle. Bref, le bout du tunnel, ce n'est pas pour tout de suite : il va falloir tenir en espérant des jours meilleurs.
J'ai déjà eu l'occasion de l'exprimer dans ces colonnes ; j'ignore si, in fine, nous reviendrons au temps d'avant ou si nous ne reverrons jamais le monde que nous avons quitté il y a maintenant un mois.
Néanmoins, il y a je crois un domaine où, quoi qu'il advienne, cette parenthèse temporelle ne se refermera pas : c'est celui de l'exercice du travail. Pourquoi ? Parce les changements sont là, sous nos yeux, qu'ils n'épargnent pas la « territoriale » et qu'ils me semblent irréversibles.
Déjà, calfeutrés à domicile ou esseulés dans des locaux désertés, les directeurs généraux des communautés et métropoles ont expérimenté dans l'urgence un mode de pilotage des organisations et des services de base à « distance » interpelant les élus, mobilisant les membres de la direction générale et de l'encadrement intermédiaire et intensifiant les connexions avec leurs homologues des communes. Ce faisant, ils parachèvent l'avènement d'une nouvelle légitimité managériale, moins hiérarchique et qui correspond bien à l'ADN de l'intercommunalité, parce que fondée sur la notion d'« inter » précisément. En effet, dans ce contexte inédit de pandémie, le manageur expert en organisation et en contrôle laisse définitivement sa place au manageur intercesseur : c'est-à-dire à celui qui sait animer, impulser, éclairer la complexité, à celui qui donne davantage de « transparence » à l'information, qui fait « confiance » à ses équipes et qui pousse à leur « autonomisation » et qui favorise en cela leur « créativité ».
Soit. En réalité, la catastrophe sanitaire accélère ici une dynamique de management collaboratif déployée par bon nombre de directeurs généraux pionniers soucieux de mettre en mouvement leur administration en faisant émerger une vision partagée de son organisation, de sa vocation et en donnant du sens à l'action. Elle a également, on le sait, considérablement amplifié la pratique du télétravail, sur laquelle il sera désormais difficile de revenir et qui donnera lieu à une multitude de négociations et débats locaux et qui ouvrira, à coup sûr, de nouveaux chantiers législatifs, sur le droit à la déconnexion notamment. Dont acte.
Mais, à mon sens, ce qui est essentiel aujourd'hui d'anticiper ou, tout du moins d'imaginer, c'est le changement potentiel de statut social des agents territoriaux à l'aune de leur confrontation très inégale au virus. A cet égard, la note récemment publiée par la Fondation Jean Jaurès et dédiée à l'impact de la crise sur le monde du travail s'avère particulièrement éclairante, ne serait-ce qu'à travers son analyse de la nouvelle reconnaissance sociale de ceux qu'elle nomme les « premiers de corvées ». A l'échelle de nos territoires, nos agents en charge du traitement et de la collecte des déchets mais aussi de l'eau et de l'assainissement, du maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées ou des réseaux de THD bénéficieront sans aucun doute d'une aura inédite, d'un capital symbolique augmenté. Dit autrement, à l'aune du déplacement des « priorités » que nous vivons actuellement, attribuer une « prime » à tous ceux qui auront porté à bout de bras le service public durant des semaines ne résoudra pas la question des inégalités structurelles qui traversent, à l'instar de la société, nos institutions et qui ne sont plus acceptables.
Les directions générales doivent donc dès aujourd'hui, anticiper, penser l'après, c'est-à-dire mettre en perspective la question des fiertés, des identités et des interdépendances professionnelles et, plus largement, mener une réflexion avec les instances paritaires sur nos modes d'organisation, sur les conditions de travail, sur le rôle de chacun de nos agents pour mieux distinguer, au bout du compte, ce qui est essentiel de l'accessoire.
En somme, c'est bien aux modalités d'un dialogue social renouvelé, garant de droits et de devoirs et, surtout, gage de progrès, que va s'atteler l'ADGCF dans les prochains mois.
Prenez soin de vous et de nous tous,
Pascal Fortoul
Président de l'ADGCF