« Pas dans le radar »
En situation de crise, le réflexe est de se tourner vers les fondamentaux : en France, l'État s'est historiquement construit sur les mairies et c'est le relai territorial qu'il a privilégié face à la catastrophe sanitaire. Il l'avait d'ailleurs fait quelques mois auparavant, dans le contexte du mouvement des gilets jaunes, en organisant le grand débat national avec le soutien des élus locaux. Dont acte.
Pour autant, la conséquence de cela, est que, dans de nombreux départements, on a pu avoir l'impression que les intercommunalités étaient ignorées, court-circuitées, en tout cas, qu'elles ne se trouvaient pas dans le radar des préfets et des sous-préfets. Dit autrement, les va-et-vient d'informations et les phases de concertation se sont souvent joués, au moins dans un premier temps, avec les communes essentiellement. A cet égard, les fils de discussion WhatsApp que l'ADGCF a déployé dans chacune de ses délégations régionales regorgent de témoignages et d'anecdotes de directeurs généraux évoquant sans ambiguïté la transparence manifeste des institutions intercommunales aux yeux du corps préfectoral et relatant, souvent avec humour, sa méconnaissance des compétences « vitales » spécifiquement exercées par les communautés et métropoles. Ajoutez à cela des CAF, des ARS, des Directions départementales de la cohésion sociale qui n'étaient pas toujours « bien » coordonnées avec les services préfectoraux, cela donne l'impression d'un Etat local, au mieux, sonné par la COVID-19, au pire, complètement déconnecté des réalités territoriales.
Car, à bien des égards, le monde territorial dessiné ces derniers mois par bon nombre de représentants de l'Etat local ressemble à s'y méprendre au monde d'hier, voire d'avant-hier. Souvenons qu'en 1976, dans un ouvrage resté fameux, Le pouvoir périphérique, Pierre Grémion mettait en lumière les usages de négociation, d'arbitrage et surtout de complicité entre élites mayorales et autorités préfectorales déterminant fortement l'organisation de la vie politique locale et nationale. Tout porte à croire que nous ne sommes pas sortis de ce modèle « classique ». Alors bien sûr, dans certains départements, les préfets ont joué la carte de l'intercommunalité menant pendant le confinement des réunions hebdomadaires avec les représentants politiques et techniques des communautés et métropoles et leur attribuant judicieusement un rôle de coordination des actions communales et de remontée d'informations. Les retours d'expérience des membres de l'ADGCF mettent même en lumière un changement de posture de certains préfets qui, à mi-confinement, ont cherché à davantage associer les intercommunalités aux cellules de crise déployées. Mais globalement, force est de le constater : ce n'est pas la majorité des cas. La légitimité, ou plutôt l'intelligibilité des communautés et métropoles aux yeux de l'Etat et de ses ramifications locales en tout cas, reste, aussi surprenant cela soit-il, à construire.
Dans son allocution télévisée du 14 juin dernier, le Président de la République Emmanuel Macron a déclaré vouloir « bâtir de nouveaux équilibres dans les pouvoirs et les responsabilités » entre l'Etat et les territoires. Chiche. Une remarque simplement : dans le monde territorial qui s'annonce, tout à la fois financièrement exsangue et réceptacle d'une demande sociale forcément croissante, c'est essentiellement la capacité des administrations locales à nouer des collaborations à géométrie variable qui définira l'efficacité de l'action publique. Cette dimension coopérative, interterritoriale, multiscalaire, c'est précisément l'ADN de la dynamique intercommunale. Ne l'oublions pas. Affirmons-le. Mieux, profitons-en.
Mes cher-e-s collègues,
J'ai voulu prolonger cet édito de quelques lignes pour vous signaler la publication de notre ouvrage dédié à l'enjeu de la parité au sein des communautés et métropoles. Vous le savez, c'est un chantier essentiel pour l'ADGCF. Aussi, durant ces douze derniers mois, un groupe de travail réunissant une vingtaine de directeurs généraux d'intercommunalité, animé par Martine POIROT, présidente déléguée de l'ADGCF, a œuvré pour réaliser un guide explicitant le cadre juridique de l'égalité professionnelle femmes / hommes, recensant les bonnes pratiques et proposant enfin une trame méthodologique susceptible d'inspirer nos administrations locales. Comment accepter, en effet, qu'au pays de Marianne, perdure une telle sous-représentation des femmes à la tête des services de nos grandes agglomérations ? Comment tolérer qu'au sein de bon nombre de CODIR, le « portefeuille » de nos paires renvoie tendanciellement au registre du « social », de la « proximité » ou des ressources humaines ? Il est temps de renverser la table. La désignation des équipes de direction générale intercommunales dans quelques semaines constitue une fenêtre d'opportunité : ne ratons pas le coche. C'est pourquoi je vous invite à vous imprégner de ce guide, à le diffuser sans retenue à vos collègues et agents mais aussi et surtout à le transmettre à vos élus… Bonne lecture !
Pascal Fortoul
Président de l'ADGCF