Et si… L'écologie était la matrice des politiques intercommunales. Voilà l'« hypothèse » pour le moins stimulante qui a constitué la trame des 15èmes Universités d'été de l'ADGCF, qui se sont tenues les 5, 6 & 7 juillet dernier. Difficile, à chaud, d'extraire la substantifique moelle de cette dernière édition en date. Soulignons, déjà, le plaisir de se retrouver entre « collègues » des communautés et métropoles dans le contexte « magique » de la commune de Morzine Avoriaz. Plus que jamais, notre Association veille à préserver son « identité », fondée sur sa dimension « think tank » et son esprit de convivialité.
Mais alors, que retenir ? Certes, je pourrais revenir en détail sur la conférence inaugurale de François Gemenne, co-auteur du 6ème rapport du GIEC, centrée sur l'appréhension politique et sociale du changement climatique. Je pourrais aussi saluer le travail proposé en atelier par France Ville Durable et visant la modélisation d'une écologie enfin sortie de son registre sectoriel et en mesure d'orienter véritablement l'exercice des compétences mais aussi le management des administrations intercommunales. Je pourrais bien sûr évoquer les interventions du sociologue Ivaylo Petev et du directeur du pôle métropolitain de Nantes Saint Nazaire, Frédéric Vasse, portant sur la question des conditions de production et de réception du « récit » écologique. Je pourrais relater avec passion le débat qui a mobilisé les géographes Philippe Estèbe et Martin Vanier, l'économiste Clément Carbonnier et le sociologue Didier Locatelli sur la nécessaire redéfinition de la « vocation » de l'intercommunalité et la nécessité de lui faire embrasser pleinement l'enjeu des politiques de « protection » de nos territoires et de nos concitoyens. Je pourrais, avec enthousiasme, raconter comment l'hydrologue Emma Haziza envisage la double problématique de la gestion et de l'optimisation de la ressource en eau, ou encore comment France Burgy souhaite faire de la question environnementale la colonne vertébrale des formations dispensées par le CNFPT dont elle est la directrice générale…
Certes. Mais s'il y a une prise de parole qui a particulièrement frappé les esprits lors de ces Universités d'été, c'est peut-être celle d'Anne Merker. Pourquoi ? Sans doute parce que la professeure de philosophie grecque a su mettre en mots la question fondamentale que convoque l'urgence écologique : qu'est-ce qui détermine les chemins que l'on emprunte, qu'est-ce qui nous motive ? Ce moteur, les Grecs l'ont clairement identifié : c'est le désir. Or, qu'est-ce que le désir ? C'est une pulsion de vie qui nous permet de surmonter l'idée de notre état de « mortel ». Grâce à son intelligence, l'être humain décuple précisément la puissance de ses désirs et les possibilités de dépasser les limites de la « Nature » dans le processus de leur satisfaction. Pour désigner ce désir qui tend vers l'illimité, vers le « toujours plus », les Grecs employaient un terme spécifique, celui de « pléonexie ». Cette « tyrannie intime » installe chez l'individu une architecture psychique particulière qui l'oriente vers la recherche permanente de la possession et de l'accumulation.
Revenons à la problématique climatique, cet enjeu crucial pour l'avenir de l'Humanité. Comme le souligne Anne Merker, nous devons avoir de la « gratitude » pour les scientifiques qui, depuis une cinquantaine d'années, vulgarisent leurs savoirs et nous montrent les voies à suivre pour adapter notre habitat, nos activités, nos vies quotidiennes aux dynamiques que l'on ne peut déjà plus arrêter. Mais peut-être faut-il aller plus loin et engager, au-delà des nécessaires transformations « externes » et « collectives », un autre processus de transformation, « interne » celui-là, renvoyant ni plus ni moins qu'à soi-même. Selon la philosophe, la source et la clef du problème écologique se trouvent peut-être ici, dans la transformation de soi. De nos jours, parler de « modération » dans l'espace public déclenche protestations et scepticismes. Pour autant, la « tempérance » était une vertu cardinale dans l'Antiquité ; les Grecs la nommaient « sophrosyne », ce qui signifie, « pensée saine et sauve », qui nous garde en vie, en bonne santé. Dit autrement, c'est l'idée d'une maîtrise de soi, d'une forme de domination paisible de soi-même, plutôt que du monde et des autres. Les Grecs savaient que la pléonexie minait la vie humaine et que, loin de la conduire au bonheur, elle la menait à la frustration permanente.
L'habitabilité du monde, sa viabilité pour une grande partie des vivants dont l'être humain lui-même, sont aujourd'hui en péril et nécessitent le déploiement massif de politiques dédiées, à l'échelle internationale, nationale et locale. Gageons que nos intercommunalités apporteront leur pierre à l'édifice. Mais l'on peut admettre, avec Anne Merker, que cela ne suffira pas. S'il n'y a pas de retour sur nos « valeurs », sur le sens même du « bonheur » dans notre société, la « transformation » écologique en restera, à des mots, à des discours qui accompagneront un catalogue de politiques publiques plus ou moins efficaces. Mais surtout, ne désespérons pas : il y a justement de l'espoir puisque nous ne manquons pas de ressources intellectuelles. Durant l'Antiquité, dans d'autres espaces mais aussi chez d'autres peuples d'aujourd'hui qui font autant partie que nous de l'Humanité, d'autres chemins, qui ne visent pas à dominer la Nature mais plutôt à vivre avec elle, ont été ou sont expérimentés. Tous ont en commun de converger vers un idéal supérieur : ce que les Grecs nommaient la Sagesse.
Mes cher(e)s collègues, rendez-vous à Orléans, le 11 octobre prochain pour notre Assemblée Générale qui se déroulera dans le cadre de la Convention nationale de l'intercommunalité pour poursuivre ces débats passionnants et vitaux pour le devenir de nos territoires, de nos concitoyens et sans doute, de notre civilisation. D'ici là, très bel été !
Régis PETIT Président de l'ADGCF |