« Une pure folie »
La décision du Président de la République de maintenir le premier tour des élections municipales n'a pas fini d'alimenter la chronique politique. Il faudra tout de même se pencher sur cette affaire et décrypter objectivement le processus décisionnel qui a conduit à ce « faux pas » politique majeur.
Les interrogations sont légion. Parmi celles-ci, on pense bien sûr au fondement du « blanc-seing » accordé par le « Conseil scientifique » de l'Elysée sur l'organisation des municipales le 15 mars dernier sans donner de garanties sur un éventuel second tour. On pense également à la pression conjointe exercée par le Président de l'AMF et celui du Sénat sur le Chef de l'Etat ; la « prime aux sortants » annoncée dans les petites et moyennes communes devait leur être favorable. Et elle l'a été. On pense aussi à Emmanuel Macron qui n'a pas su ou voulu faire volte-face et affronter les représentants des maires avec qui il s'efforce, on le sait, de renouer un lien depuis la crise des gilets jaunes. Dommage. C'était pourtant là l'occasion d'incarner pleinement la fonction présidentielle, en tout cas de lui redonner du crédit, voire du sens dans un contexte d'union nationale.
Le bilan : la mise en danger d'un grand nombre d'élus ou futurs élus qui ont assuré l'organisation du scrutin, une abstention record qui jette l'opprobre sur la légitimité des édiles municipaux et un premier tour, qui sera, vraisemblablement, à refaire le 27 septembre prochain dans 4779 communes (souvent les plus peuplées), le second tour étant a priori fixé le 4 octobre. Bref, une fonction mayorale fragilisée alors que l'intensité de notre démocratie est plus que jamais questionnée par des mesures « liberticides », certes collectivement acceptées, mais parce qu'elles visent, pour le moment, à lutter contre l'extension de la pandémie.
Mais ce feuilleton électoral est loin d'être fini. Car aux dires de Sébastien Lecornu, Ministre en charge des collectivités territoriales, la priorité du Gouvernement est désormais d'installer, début juin, les 30 143 conseils municipaux élus ou réélus dès le soir du 15 mars. D'ici là, ce sont les exécutifs sortants du bloc local qui continueront à tenir, en quelque sorte, la « baraque », en s'appuyant sur la mobilisation de leurs équipes techniques et garantissant ainsi la continuité des services publics de base. Soit. Mais si l'horizon s'éclaircit pour la majorité de nos petites communes, le report qui se dessine à l'automne pour les autres communes va lourdement affecter le fonctionnement de nos communautés et métropoles.
Pas sûr, en effet, que nos ministres de tutelle aient bien anticipé l'impact de la mise en place d'assemblées intercommunales « mixtes », réunissant des conseillers élus ou réélus en 2020 et d'autres adoubés en 2014, et pilotées par des exécutifs provisoires. Franchement, à l'orée de la période estivale, alors que nous serons toutes et tous focalisés, je l'espère, sur l'organisation des modalités de déconfinement et sur l'ajustement de l'exercice de nos compétences et du redéploiement de nos agents, pourra-t-on se permettre de prendre le temps d'une élection de transition ?
Faut-il risquer l'installation de gouvernances communautaires et métropolitaines pas tout à fait légitimes mais susceptibles d'aller au-delà de la gestion des affaires urgentes et courantes notamment en termes de budget et de marchés ?
C'est de mon point de vue, pure folie.
Oui, on peut comprendre l'impatience des nouveaux venus d'investir enfin les mairies et les intercommunalités ; on peut comprendre aussi les nombreux édiles, éliminés au premier round qui ont, par esprit civique, accepté de prolonger leur mandat mais qui souhaitent dès que possible passer la main. Mais tout de même, ne serait-il pas plus cohérent, juste plus simple, de prolonger de quelques semaines les sortants épaulés par leur direction générale afin de disposer, au bout du compte, de conseils communautaires composés d'exécutifs crédibles lorsqu'il s'agira de jeter les bases stratégiques et opérationnelles des plans de relance territoriaux qui mettront en première ligne nos intercommunalités ?
Manifestement, pour nos dirigeants, la légitimité des assemblées communautaires et métropolitaines a sensiblement moins de valeur que le déploiement des conseils municipaux. Symboliquement, cela se comprend. Politiquement, à l'aune des enjeux écologiques, numériques et économiques qui vont structurer l'action publique au cours des prochaines années, cela se discute.
Prenez soin de vous et de nous tous,
Pascal Fortoul
Président de l'ADGCF