La faute à qui ? Eh bien… À nous. La température a augmenté de 1,1° C depuis l'ère préindustrielle. La part de cette hausse imputable aux activités humaines ? 97 %. Mais encore ? + 1,5° C à l'horizon 2100 : c'était, rappelons-nous, l'objectif de la COP21, organisée à Paris en 2015. Nous l'atteindrons avant 2035. + 3,2° C ? Ce sera notre « score » si nous n'agissons pas très rapidement et de manière significative pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. On ne peut être que sonné à la lecture du rapport de synthèse des travaux menés par le GIEC depuis 2015, égrainant ces chiffres et énonçant des conséquences « cataclysmiques », comme la baisse de l'accès à l'eau et à la sécurité alimentaire, l'extinction de nombreuses espèces mais aussi la perspective des grands déplacements de populations à venir. Nous avons cependant toujours notre destin entre nos mains soulignent les « experts », à condition d'accélérer, collectivement et sans plus attendre, les transitions et les transformations.
En bref, les conclusions du GIEC sont sans appel : agissons, vite, la maison brûle. Et pourtant… Face aux crises écologiques, force est de le constater : nos comportements semblent encore trop souvent ignorer le chemin que trace la science. Surtout, si la prise de conscience environnementale percute désormais toutes les strates de la population française, elle reste à géométrie variable dans les pratiques - consommation, loisirs, mobilités, logements - et ne s'accompagne pas, ou pas suffisamment, des changements de modes de vie pourtant absolument nécessaires. C'est sur ces « résistances », ces « paradoxes », que se sont penchés quatre sociologues, auteurs de La Conversion écologique des Français. Contradictions et clivages. Cet ouvrage, publié il y a quelques semaines, particulièrement dense et documenté, cherche à circonscrire, à partir de données quantitatives nationales et internationales, une pulsion sociétale contemporaine particulière, celle du désir d'écologie.
Ce faisant, l'analyse révèle déjà un paradoxe spécifiquement français : nos concitoyens ont plutôt tendance à exprimer une « angoisse » environnementale pour la planète que pour leur cadre de vie quotidien. Surtout, l'ouvrage souligne la dimension socioculturelle de la conversion écologique, en mettant l'accent sur ce que les individus disent - leurs attitudes - et sur ce qu'ils font - leurs pratiques -. Les milieux sociaux les plus modestes témoignent ainsi d'une faible éco-anxiété tandis que la relative modestie de leur niveau de consommation induit un mode de vie compatible avec l'enjeu de soutenabilité. A contrario, les classes plus aisées, qui tendent à valoriser une écocitoyenneté active, se distinguent, quant à elles, par un style de vie beaucoup moins « vertueux ». En somme, l'engagement des Français en faveur de la cause écologique met en lumière des logiques sociales, économiques et territoriales, de genre aussi, qui relativisent la sensibilité environnementale globale de notre pays, du moins telle qu'elle émerge régulièrement dans les sondages d'opinion.
In fine, les sociologues esquissent une typologie renvoyant à la complexité des modes de vie et aux comportements parfois contradictoires de nos concitoyens : un « consumérisme assumé » - niveau de consommation élevé versus préoccupation environnementale faible -, un « éco-cosmopolitisme » - associant sobriété des pratiques et haute conscience environnementale -, une « frugalité sans intention » - articulant faible conscience environnementale et sobriété comportementale - et un « éco-consumérisme » - juxtaposant une forte conscience environnementale et la volonté de préservation du confort matériel -.
Que nous dit cet ouvrage ? Que la conversion écologique des modes de vie se heurte à la réalité sociale du quotidien de chacun d'entre nous. C'est pourquoi elle appelle de la part des communautés et métropoles, pivots de la territorialisation de l'action écologique, des arbitrages complexes, tenant compte de la justice sociale et de l'efficacité environnementale.
Ivaylo PETEV, sociologue et chercheur au CNRS, l'un des quatre co-auteurs de l'opus précisément, sera présent aux 15èmes Universités d'été de l'ADGCF. Venez échanger avec lui sur les attitudes contradictoires, les résistances, les contre-discours et les contre-pratiques qui structurent notre écocitoyenneté : rendez-vous à Morzine les 5, 6 & 7 juillet prochains !
Régis PETIT Président de l'ADGCF |