" Panique électrique "L'histoire d'une civilisation qui s'écroule. Dans son célèbre roman Ravage, l'écrivain Barjavel décrivait, en 1943, les affres d'un monde soudainement privé d'électricité. Ce faisant, il mettait en lumière les fragilités d'une société toujours plus complexe et sophistiquée, ayant une foi aveugle dans son progrès technologique et qui allait se retrouver brusquement en état de décomposition. Fiction ou… Anticipation ? Réagissant aux déclarations récurrentes qui promettent des coupures électriques hivernales et à la panique énergétique qui semble avoir saisi notre pays depuis quelques semaines, le Président de la République a fustigé les « scénarios stupides », condamnant au passage les oiseaux de mauvais augures, « autorités et entreprises publiques » qui « gouvernent par la peur ».
Certes, il faut raison garder. Comme l'indique la circulaire adressée le 30 novembre dernier par Matignon aux préfectures, s'il devait y avoir des délestages ces prochaines semaines, ceux-ci seraient opérés en mode « peau de léopard » : dit autrement, les ruptures d'alimentation ne concerneraient que des portions limitées de territoire, regroupant grosso-modo l'équivalent d'un millier de « clients » du réseau —habitants et entreprises, prévenus trois jours en amont— et pour une durée maximale de deux heures. Nous devrions, le cas échéant, y survivre, d'autant que, faut-il le rappeler, les équipements destinés aux plus vulnérables d'entre nous, à l'instar des hôpitaux, seraient bien sûr préservés.
En somme, il n'y a pas péril en la demeure. Tout au plus, on pourra regretter certaines hésitations du Gouvernement en matière de communication. Sans doute faut-il y voir le corollaire de l'épisode pandémique de COVID-19 : pour éviter d'être « débordés » et vilipendés par l'opposition pour cause d'« impréparation », nos dirigeants auront peut-être, cette fois, pêché par excès d'anticipation.
Quoi qu'il en soit, la menace réelle ou supposée de délestages, largement médiatisée, a eu une vertu, celle de nous rappeler que notre société fonctionne grâce à la production d'électricité et que le défaut d'approvisionnement ne relève plus du roman de science-fiction mais qu'il est, désormais, envisageable. Rappelons-le : les intercommunalités et leurs usagers ont déjà eu l'occasion de toucher du doigt les prémisses de ce changement d'époque. L'explosion récente des coûts de l'énergie a en effet conduit de nombreuses communautés à ouvrir des négociations difficiles avec leurs délégataires privés assurant par exemple la gestion de leur centre aquatique ou de leur patinoire et, parfois, à prendre la décision de fermer ces équipements.
A l'aune de l'instabilité de notre réseau qui pourrait devenir chronique, il est urgent que nos décideurs engagent un débat apaisé et surtout responsable sur notre « feuille de route électrique » et ses conséquences sur le déploiement territorial du service public. Dans cette perspective, n'oublions pas que les communautés et métropoles, pivots des politiques locales de transformation écologique, expérimentent d'ores et déjà au quotidien la diversification de leur mix énergétique (éoliens, solaires, géothermiques, méthanisation…) en complément des sources de production nationale. Valorisons, discutons, disséquons ces démarches : elles peuvent contribuer à écrire le scénario électrique de demain.
Régis PETIT Président de l'ADGCF |