Que de chemin parcouru. En 2005, dans un rapport qui a fait date, la Cour des comptes considérait que l'intercommunalité était « un indéniable succès » d'un point de vue quantitatif mais que la situation n'était pas « pleinement satisfaisante » sur un plan plus qualitatif. Loin s'en faut. Pour les magistrats financiers, les communautés, censées initialement déployer des projets de développement territorial, demeuraient alors, dans des « proportions non négligeables », de simples « structures de redistribution de fonds aux communes », voire des « coquilles vides ».
A la lecture du rapport publié à l'automne 2022 par la Cour des comptes, le changement de ton est manifeste. L'intercommunalité y est reconnue comme un acteur majeur de l'aménagement des territoires via l'exercice de 32 compétences en moyenne —contre 14 en 2010—, contribuant largement à l'amélioration de la qualité de l'action publique territoriale. C'est pourquoi les Sages de la rue Cambon appellent à toujours plus d'intégration communautaire, c'est-à-dire à un positionnement de l'intercommunalité comme « locomotive du bloc local » et comme « interlocuteur privilégié des autres niveaux d'administration ».
Cheville ouvrière, aux côtés de leurs élus, de cette dynamique ascensionnelle, les directeurs généraux des communautés et métropoles ne peuvent bien sûr que se féliciter de cette « reconnaissance » : oui, l'intercommunalité s'est affirmée au cours de ces dernières années comme l'échelle des solutions en matière de conception et de mise en œuvre des services publics locaux. Dont acte.
Pour autant, ce n'est pas non plus un blanc-seing que les magistrats accordent au mouvement intercommunal, soulignant, au-delà du satisfecit, les failles qui entravent sa pleine et définitive montée en puissance. Pêle-mêle, une répartition des compétences pas toujours lisible au sein du bloc local, une culture de l'évaluation et de la performance qui reste embryonnaire, une connexion aux citoyens trop partielle, une démobilisation progressive des maires égarés dans des assemblées communautaires post loi NOTRe pléthoriques, une explosion des dépenses de fonctionnement des intercommunalités mais aussi et surtout des communes… En bref, le processus intercommunal demeure inachevé, inabouti et ce d'autant plus que, pour la Cour des comptes, les récentes lois Engagement et proximité et « 3 DS » ont eu tendance à promouvoir la « syndicalisation » des communautés et métropoles au détriment de la cohésion territoriale.
Face à ces problématiques, les réponses apportées par les Sages s'inscrivent essentiellement dans le registre d'une nécessaire régulation des synergies entre l'intercommunalité et ses communes membres : définition de l'intérêt communautaire à partir de critères « objectifs », élaboration à nouveau obligatoire des schémas de mutualisation, généralisation des pactes fiscaux et financiers, modification des attributions de compensation à la majorité qualifiée plutôt qu'à l'unanimité, incitations, surtout, à la création des communes nouvelles…
Force est de le constater : bon nombre de ces propositions renvoient aux pistes formulées par l'ADGCF dans son opus adressé l'été dernier au Gouvernement et au Parlement et intitulé « 2022-2027 : changer le modèle de l'action publique territoriale ». Parmi celles-ci, on retiendra la nécessité d'engager une vaste réforme de la fiscalité locale en cohérence avec les objectifs de lutte contre l'artificialisation et qui redéfinisse, au passage, les systèmes de compensation et de péréquation financières entre communes et intercommunalités ainsi que le principe d'aborder véritablement la question des recompositions communales, mère de toutes les réformes pour notre Association.
Gageons que le nouveau chantier de décentralisation que souhaite ouvrir le Chef de l'État au premier semestre 2023, sera l'occasion pour l'ADGCF de jouer à nouveau les « éclaireurs » sans pour autant oublier que notre Association n'appelle pas à un « plus » mais essentiellement à un « mieux » en matière de décentralisation, c'est-à-dire à un réel saut qualitatif dans le fonctionnement de nos administrations territoriales et dans notre relation à l'État.
Régis PETIT
Président de l'ADGCF
[28/11/2022]