« La ville résiliente et durable n'a d'autre choix que de se recomposer autour des flux et des usages »

Fondatrice et présidente de l'Agence City Linked, Sybil Cosnard évoque sa dernière publication en date consacrée au concept de ville « sobre » et « créative ».


Interview de Sybil Cosnard

 

1) Pouvez-vous nous expliquer le pourquoi de votre Observatoire Urbain en complément de votre activité d'Assistance à Maîtrise d'Ouvrage Urbaine ?

 

CITY Linked est une agence d'AMO urbaine qui accompagne les décideurs publics comme privés dans la stratégie et la mise en œuvre de projets opérationnels. En parallèle, CITY Linked a créé Détour By CITY Linked pour mener un travail de veille et de prospective sur l'aménagement urbain de nos territoires. Nous avons souhaité prendre un temps de recul sur nos pratiques et les tendances à l'œuvre dans l'aménagement des territoires. Depuis 2017, nous identifions des thématiques qui semblent faire sens au regard de l'actualité des enjeux de l'urbain et nous les traitons notamment par la réalisation d'ouvrages produits en interne avec l'aide de partenaires externes. L'objectif final de cet Observatoire : la volonté de partager les tendances de l'urbain auprès de tous les acteurs de la ville qu'ils soient professionnels, élus, étudiants…

L'urbanisme est trop peu connu, souvent abordé sous un regard réglementaire et technique donc complexe à comprendre et chez CITY Linked, nous sommes convaincus de l'intérêt sociétal d'ouvrir cette discipline au plus grand nombre car nous nous sommes tous touchés par une expérience de la ville, qu'elle soit petite, grande, urbaine ou rurale.

 

2) Comment se décline votre Observatoire Urbain ?

Ces travaux prennent la forme de publications, d'ouvrages, des recherches pour des études prospectives, des ateliers collaboratifs, des expérimentations sur le territoire … Avec un ton clair, pédagogique et engagé, l'Observatoire Urbain s'adresse aux professionnels de l'urbain, aux étudiants, aux passionnés de la ville. Il propose à ceux dont c'est le métier de « lever le nez du guidon », à ceux qui l'apprennent d'aborder une histoire longue et souvent chaotique, à ceux qui s'intéressent de près ou de loin à ces sujets qui nous concernent tous de bénéficier d'un éclairage accessible et sans jargon.

 

3) Votre dernière publication porte sur la notion de ville sobre et créative, pourquoi ce choix ?

Urgence environnementale, éclatement des lieux de vie, fragmentation des temps sociaux, émergence de nouvelles mobilités, explosion du télétravail et des TIC. Dans un monde en profonde mutation, où le changement est devenu la norme, la ville résiliente et durable n'a d'autre choix que de se recomposer autour des flux et des usages, à des échelles multiples, dans une temporalité qui n'a de cesse de s'accélérer. Avec Superpose, la ville aux mille et un usages, nous nous efforçons de démontrer, à l'appui de nombreux exemples d'expérimentations, que la mixité fonctionnelle et la flexibilité programmatique dans la fabrique urbaine apportent des réponses, certes partielles mais pertinentes, aux enjeux environnementaux et sociétaux. Sans jamais nier la complexité des objets hybrides, nous explorons, sans tomber dans le piège de l'angélisme, les pistes et les leviers qui permettront de « casser les codes », d'avancer résolument dans le sens du multi-usages.

 

4) Qu'en avez-vous retenu ?

En synthèse, quatre maîtres-mots : facilitation, harmonisation, simplification et innovation. Facilitation grâce à l'allègement des différents codes qui encadrent les autorisations d'urbanisme. Il s'avère en effet impératif de prévoir la mixité des usages et la réversibilité des bâtiments dès leur conception, y compris en cas de réhabilitation. L'obtention à Bordeaux du premier permis sans affectation dans le cadre du dispositif expérimental du permis d'innover ouvre la voie. Facilitation aussi par la réforme des taxations qui grèvent les produits de cession des biens. Facilitation toujours via l'instauration encadrée d'un droit de propriété dissociant le foncier du bâti. Facilitation enfin en créant des financements dédiés, en instaurant un taux réduit de TVA pour certains programmes et en autorisant les collectivités comme les grandes entreprises publiques à céder à perte – sous conditions – des biens destinés à être réhabilités pour être affectés à plusieurs usages. Harmonisation grâce à l'uniformisation des normes d'accessibilité, de sécurité, de performance énergétique, quelle que soit la destination plurielle des bâtiments. A celle également des régimes de taxation. Simplification à chaque étape d'un programme. Dans les phases de montage et d'exploitation, elle passe par l'élargissement du champ de compétences de certaines sociétés commerciales qui permettent d'associer à leur capital des partenaires aussi divers que des agences de l'État, des collectivités, des bailleurs sociaux, des associations, des entreprises publiques ou privées, des établissements de formation, des habitants, des usagers, etc. C'est le cas tout particulièrement des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC). Innovation enfin. En se lançant à la conquête de nouveaux espaces : des places de stationnement aux dents creuses dans les zones pavillonnaires en passant par les toitures. Sans oublier de mettre à contribution les nouvelles technologies qui permettent d'optimiser les usages comme les surfaces.

 

5) Avez-vous le sentiment que les acteurs de la ville agissent déjà vers le plus de sobriété ?

Nous n'avons plus le choix et la prise de conscience est bien là. Pour autant le contexte économique actuel n'est pas le plus aisé pour agir. De nombreuses tendances sont déjà à l'œuvre depuis quelques années mais les freins sont encore nombreux pour permettre de travailler sur un amenuisement de la consommation. Nous avons souvent le sentiment que plus les projets se complexifient, plus on ajoute des normes et des règles alors qu'au final, chaque professionnel nous dit qu'il faudrait au contraire tout assouplir !

[23/04/2024]

Diaporama