Interview de Patrice Vergriete, nouveau Président d'Efficacity
Les objectifs climatiques de la France pour 2030 exigent d'augmenter significativement nos efforts annuels de réduction des émissions de CO2. Or en France, les villes sont responsables de 2/3 des émissions de CO2, et il est donc urgent de leur donner les moyens d'accélérer leur décarbonation, ce qui aura en outre un effet direct sur la diminution de leurs factures énergétiques.
Pouvez-vous tout d'abord nous rappeler ce qu'est l'Institut Efficacity dont vous venez de prendre la Présidence ?
Efficacity est l'institut français de R&D dédié à la transition énergétique et bas carbone des villes. Efficacity a été créé à l'initiative de l'Etat en 2014, plus précisément à l'initiative du Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), cet organisme chargé de piloter les investissements de France 2030 dans de nombreux secteurs de l'économie dont celui de la transition énergétique. La mission d'Efficacity, en lien étroit avec le Ministère de la transition écologique, le Ministère de l'Aménagement du territoire et l'ADEME, consiste à développer, expérimenter puis diffuser à grande échelle de nouveaux outils d'aide à la décision pour aider les acteurs de la ville à accélérer leurs efforts de transition énergétique et bas carbone.
Quelle approche recommandez-vous pour accélérer cette nécessaire décarbonation des villes ?
Il faut bien sûr augmenter les investissements et donc les financements, mais cela ne suffira pas : il faut aussi optimiser chaque investissement au regard de son coût et de son impact énergétique et carbone, ce qui est encore loin d'être la pratique actuelle. Ce changement profond des pratiques est nécessaire à plusieurs échelles : à l'échelle des projets d'aménagement ou de rénovation urbaine, c'est-à-dire des quartiers ; à l'échelle plus diffuse des grands patrimoines bâtis résidentiels ou tertiaires ; enfin à l'échelle des collectivités et de leur plan climat (PCAET). Efficacity développe des outils d'aide à la décision à ces trois échelles complémentaires.
Concrètement, comment peut-on évaluer et réduire l'impact carbone des projets d'aménagement urbain ?
Il y a encore quelques années, cela était très complexe car un quartier à aménager ou à rénover, n'est pas qu'une somme de bâtiments mais inclut aussi les espaces publics, les réseaux d'énergie, d'eau, la gestion des déchets, sans oublier la mobilité. C'est pourquoi Efficacity, le CSTB et de nombreux partenaires dont le Cerema, ont été missionnés pour développer une méthode publique de référence pour réaliser le bilan carbone d'un quartier de façon à la fois précise et rapide donc non coûteuse. Il s'agit de la méthode « Quartier Energie Carbone » qui, avec son logiciel d'application UrbanPrint, est maintenant en phase de diffusion nationale grâce au soutien de l'ADEME et du Ministère de la transition écologique. Sa grande valeur ajoutée est de permettre d'identifier les actions les plus efficaces pour réduire l'impact carbone d'un projet et d'évaluer combien chaque action vous fait gagner. Je recommande donc à toutes les collectivités de prescrire un bilan carbone selon cette méthode promue par l'ADEME pour tous leurs projets d'aménagement ou de rénovation urbaine, et les collectivités d'une certaine taille ont aussi intérêt à s'équiper elles-mêmes d'UrbanPrint afin de monter en compétence sur l'enjeu carbone et dialoguer d'égal à égal avec leurs aménageurs et ingénieries.
C'est grâce à l'existence de cette méthode de référence et à son appropriation à grande échelle, que nous allons très prochainement pouvoir ouvrir l'Observatoire national Quartier Energie Carbone dont les premiers résultats seront présentés lors d'un événement le 2 juillet à Paris. Cet Observatoire servira de « boussole » au niveau national et régional en évaluant chaque année si les projets d'aménagement sont de moins en moins carbonés, et il permettra en outre d'identifier les actions les plus efficaces par grande typologie de projets, et finalement de faire monter en compétence l'ensemble de la filière.
Au-delà du bilan carbone des projets, comment peut-on optimiser leur stratégie énergétique et que proposez-vous pour la rénovation énergétique des patrimoines bâtis qui dépassent l'échelle d'un quartier ?
Il est en effet crucial d'optimiser la composante énergétique des projets d'aménagement car elle est responsable d'environ un tiers de leur impact carbone total. Cette optimisation est souvent complexe car il existe de très nombreuses variantes en termes de mix énergétique, de réseaux, de stockages, de performances des bâtiments ; c'est pourquoi deux outils ont été spécialement développés par Efficacity et le CSTB : EnergyMapper pour le mix énergétique ; PowerDIS, le premier outil européen de simulation énergétique dynamique (SED) à l'échelle urbaine, pour la stratégie énergétique d'ensemble.
Je recommande donc à toutes les collectivités et aménageurs de chercher à optimiser la stratégie énergétique de leurs projets à l'aide des outils développés par Efficacity et le CSTB ; c'est précisément pour leur offrir ce double accompagnement sur les enjeux énergie et carbone qu'Efficacity et le CSTB, avec le soutien de l'ADEME, viennent de lancer un Appel à manifestation d'intérêt (AMI) avec les deux grandes fédérations d'aménageurs avec qui nous coopérons depuis plusieurs années et que je remercie, d'une part l'Union nationale des aménageurs (UNAM) et d'autre part la Fédération des EPL (FedEpl).
Et la bonne nouvelle, c'est que le logiciel PowerDIS se révèle également très efficace pour optimiser le programme de rénovation énergétique d'un patrimoine bâti résidentiel ou tertiaire et plusieurs expérimentations sont en cours notamment grâce au soutien d'une autre fédération partenaire que je remercie, la FNCCR. Dans ce cas particulier, les outils d'Efficacity aident les collectivités non seulement à être plus vertueuses sur le plan environnemental, mais aussi à réduire drastiquement le coût des investissements nécessaires pour se conformer au décret tertiaire. N'hésitez pas à solliciter dès maintenant Efficacity sur ce sujet crucial.
Enfin, pouvez-vous nous parler de vos travaux sur les plans climat ?
Le constat partagé est que les plans d'action bas carbone des collectivité, que l'on retrouve dans les PCAET, sont rarement assez précis et opérationnels pour permettre de choisir entre plusieurs actions ou pour évaluer chaque année si l'on est sur la bonne trajectoire et ajuster le plan d'action en conséquence.
C'est pourquoi, Efficacity va développer un outil d'aide à la décision qui permettra aux collectivité d'élaborer des stratégies de décarbonation beaucoup plus opérationnelles. Là encore, sur un sujet aussi complexe, la marque de fabrique d'Efficacity est d'une part de coopérer avec de nombreux organismes, et notamment avec la FNCCR avec qui nous venons de lancer un second AMI dédié aux plans climat, et d'autre part de coconstruire le futur outil avec de nombreuses collectivités volontaires qui seront ainsi à l'avant-garde de la planification urbaine bas carbone. Les collectivités intéressées ont jusqu'à cet été pour contacter Efficacity, n'hésitez pas à vous lancer dans cette démarche.
[10/06/2025]