Interview d'Alexandre Mora, Directeur Développement et Commerce de Transdev France


Interview d’Alexandre Mora

Alexandre Mora, vous êtes aujourd'hui Directeur du développement de Transdev France, mais vous connaissez bien le monde des intercommunalités, puisque vous avez exercé auparavant des fonctions de directeur de cabinet en collectivité territoriale. Quel a été le fil conducteur de votre parcours, et comment vous a-t-il mené à piloter aujourd'hui le développement territorial pour un grand opérateur de mobilités ?

Le fil conducteur, c'est le service public. Mon parcours, au fond, c'est celui d'un engagement constant au service des territoires et de leurs collectivités. Après des études à l'institut d'études politiques de Bordeaux, j'ai commencé ma carrière en 2003 comme collaborateur parlementaire au Parlement européen, puis avec plusieurs expériences au sein de cabinets de collectivités locales - à la Ville de Nîmes en 2004, puis celle de Bourg-en-Bresse en 2006, dans des fonctions de directeur de cabinet d'un député-maire. En 2008, j'ai pris la direction générale du Mémorial Charles de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises, un équipement culturel et mémoriel national, à l'interface entre mémoire, citoyenneté et attractivité territoriale. En 2014, alors élu adjoint au maire de la commune de Rennepont, je décide de rejoindre la ville de Reims et la communauté d'agglomération de Reims Métropole comme directeur de cabinet. J'ai pu œuvrer à la grande fusion intercommunale de 2017 avec l'élargissement de la communauté d'agglomération devenue urbaine passant de 16 à 143 communes. La loi NOTRé c'est aussi la création des grandes régions et j'accepte volontiers le challenge de directeur de cabinet du président du Conseil régional Alsace Champagne Ardenne Lorraine devenue Région Grand Est où j'ai servi deux présidents jusqu'en 2023. Ces années m'ont appris à conjuguer vision politique, mise en œuvre concrète et proximité humaine. Toute cette période a aussi été marquée par de profondes réformes territoriales avec le renforcement des intercommunalités et des Régions dans les domaines du développement économique et des transports. Depuis novembre 2023, j'ai rejoint Transdev comme directeur développement et commerce France. Je pilote plusieurs équipes — les offres, le marketing, les études et prévisions, l'assistance technique et le développement territorial — avec une conviction intacte : une bonne offre de transport n'est jamais standardisée. Elle doit servir le projet politique de la collectivité locale. Pour moi, ce passage du côté de l'opérateur n'est pas une rupture, mais une continuité.

 

Le secteur des mobilités a connu ces dernières années de profondes transformations : montée en puissance des AOM, transfert des TER aux Régions, évolutions des modèles de financement, exigences croissantes en matière de sobriété énergétique… Dans ce contexte, comment percevez-vous aujourd'hui la relation entre les collectivités locales et les opérateurs ? Et au-delà du rôle classique de prestataire, comment les opérateurs peuvent-ils devenir de véritables partenaires d'innovation au service des territoires ?

Les AOM régionales et intercommunales ont transformé progressivement leur mode d'action. A l'échelle intercommunale, nous nous mettons au service du projet de territoire en articulant les différents enjeux de politiques publiques : comment nos offres de mobilité s'inscrivent en cohérence avec des stratégies d'aménagement de l'espace, de cohésion sociale et transformation énergétique ? Du côté des Régions, un effort de décloisonnement est en cours entre les missions de transports scolaires, interurbains et ferroviaires à l'échelle des bassins de mobilité. Les Régions sont devenues stratèges, avec une vision, des priorités politiques et une exigence accrue d'impact pour les citoyens. Cela change profondément la nature de la relation avec les opérateurs. Cette relation ne peut plus être simplement transactionnelle. Elle doit être partenariale et s'inscrire dans une vision prospective.

Les projets de SERM - schémas express régionaux métropolitains - invitent à la co-production des stratégies de mobilité entre ces deux niveaux d'AOM. Et surtout à nourrir le débat stratégique des élus : ils doivent choisir le bon mode au bon endroit au meilleur coût. Les premières expériences de mise en concurrence du train régional se sont déjà traduites par une baisse du coût du train kilomètre et, finalement, des contributions publiques des Régions de 25%. A budget constant, cela permet de développer l'offre - c'est ce que nous avons proposé pour la ligne Marseille-Toulon-Nice que nous exploitons depuis le 29 juin – ou redéployer des moyens financiers pour des lignes de car express pour une meilleure connectivité des territoires. Nous restons humbles car il ne nous appartient pas de nous immiscer dans le dialogue territorial au sens politique mais nous pouvons nourrir les réflexions stratégiques des AOM à l'aide de nos retours d'expériences multimodales mais aussi avec des travaux de recherche-action. C'est ce que nous faisons avec Geonexio - que nous avons créé début 2025 – qui est un Think & Do Tank, plateforme pour analyser, comprendre les enjeux des mobilités du quotidien. Le but : générer des idées et des actions concrètes pour répondre au triple enjeu du carbone, de l'équité et de l'efficience. S'appuyant sur des travaux pluridisciplinaires, faisant appel à la géographie, l'urbanisme, l'économie, la sociologie et aux sciences de l'ingénieur, Geonexio scrute les territoires, identifie les grandes tendances en matière de mobilités en mobilisant des données et des études de terrain. Il rassemble une équipe internationale de chercheurs et experts ainsi que des acteurs publics et privés de tous niveaux. C'est pourquoi nous ne nous considérons pas comme de simples prestataires.

Et puis, il y a le capital humain. Transdev, ce sont des milliers de collaborateurs habitants du territoire. Selon le baromètre de L'Usine Nouvelle, Transdev est le 4e recruteur industriel de France avec près de 9000 postes à pourvoir en 2025. Nous sommes convaincus que le recrutement et la formation continue sont au cœur de la transition énergétique et de la mobilité durable. C'est pourquoi nous investissons dans des parcours de formation adaptés, et nous offrons à nos collaborateurs des opportunités de carrière dans les métiers de demain. Nos conducteurs, nos techniciens, nos agents de maintenance sont des travailleurs essentiels qui incarnent le service public au quotidien. C'est aussi cela être partenaire d'un territoire : y être utile, y créer de la valeur avec des solutions concrètes au service du bien commun.

 

Dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, comment voyez-vous évoluer le modèle économique des transports publics ?

La crise pandémique de 2020 nous a incité à chausser les lunettes de nos AOM clientes, à nous mettre à leur place et comprendre avec davantage de finesse les modalités d'équilibre du fonctionnement des transports publics. C'est une question de préoccupation et d'expertise des DGS intercommunaux quand on connaît le coût public que représente, dans nos agglomérations, l'organisation des services de mobilité. Nous devons ainsi acculturer nos sociétés opérationnelles à la prospective économique pour resituer les modalités de financement des services publics locaux. Qui le finance et à quelle proportion ?

Le passager ? Le contribuable employeur via le versement mobilité (VM) ? La collectivité via des subventions publiques ? Nous observons une grande diversité dans ce panier de recettes, et même dans des réseaux de transports publics où les AOM ont instauré la gratuité. Il ne nous appartient pas de contester ces choix qui sont éminemment politiques. En revanche, nous pouvons accompagner les AOM pour anticiper les impacts d'un passage à la gratuité.

De même, nous pouvons apporter de l'expertise et une ingénierie de projet aux communautés d'agglomération de plus faible densité. Dans un contexte de transformation énergétique des flottes et des centres bus (électrification), il convient de s'interroger sur les modalités de co-investissement public-privé. En tant qu'opérateur de mobilité délégataire, nous nous inscrivons dans la chaîne de production du service public local de transport.

 

Quelles complémentarités peut-on imaginer entre les différents segments territoriaux – urbain, périurbain, rural – pour garantir une offre de mobilité cohérente et soutenable ?

Aux Régions de mettre en système leurs différents bassins de mobilité en leur qualité de chef de file des mobilités et de l'intermodalité. C'était le double objectif de la loi d'orientation des mobilité (LOM) que de renforcer les coopérations territoriales et de développer de nouveaux services dans les espaces de faible densité. A ce titre, nous accompagnons de nombreuses communautés de communes AOM, particulièrement dans le domaine du transport à la demande. Nous sommes un opérateur présent dans tous les contextes territoriaux et explorons toutes les géographies : métropoles, villes moyennes, petites centralités autour de ruralités, espaces littoraux et de montagne et je n'oublie pas nos territoires ultramarins avec une présence forte à la Réunion et à Mayotte. Et partout, notre responsabilité est la même : garantir un droit à la mobilité, accessible, fiable, soutenable, et surtout adaptée aux réalités locales.

Être un partenaire, c'est donc être capable d'apporter des réponses concrètes, mais aussi de comprendre les dynamiques locales, les contraintes techniques, les attentes des élus et des habitants. C'est ce que nous faisons, au quotidien, avec des solutions très variées : tramways, bus à haut niveau de services, transport à la demande, partenariats locaux pour déployer des lignes de covoiturage public, cars express, gestion de gares routières et de pôles d'échanges multimodaux mais aussi navettes maritimes ou fluviales et transport par câble.

Nous partageons les mêmes préoccupations de nos intercommunalités clientes qui sont par essence des acteurs de l'optimisation de la dépense publique : améliorer les services rendus dans les territoires pour les habitants. Mais avec les fusions intercommunales et les périmètres XXL, les économies d'échelle en matière de transport public ne sont pas automatiques car les ressorts territoriaux se sont dédensifiés et le regroupement de communes rurales dans les périmètres des agglomérations appellent des solutions adaptées à la faible densité comme du transport à la demande. Les données de notre fédération, l'UTPF, montrent que les coûts publics nets par voyage ont augmenté sensiblement entre 2015 et 2022. Cela pose à la fois la question du reste à charge pour la collectivité que les élus doivent mettre en rapport avec les gains d'accessibilité rendus possibles par le développement d'une offre de services pour les habitants. C'est parfaitement légitime en termes de cohésion sociale, le développement des aptitudes à la mobilité pouvant lever les freins à l'emploi. Il revient aux AOM d'arbitrer sur le panel de solutions et de services, sans doute en hiérarchisant les lignes fortes de leurs réseaux. En établissant aussi une meilleure connectivité entre les centres urbains et les polarités périphériques. Mais là, encore, ce sont des arbitrages politiques qui posent des questions de gouvernance communes - intercommunalités.

 

[08/07/2025]