Interview de Magali Talandier & Josselin Tallec, Université de Grenoble-Alpes

Nouvel ouvrage « Les inégalités territoriales »


Interview de Magali Talandier et Josselin Tallec

Quelle est la visée initiale et le fil rouge de l'ouvrage ?

Le traitement des inégalités territoriales a toujours été au cœur des politiques d'aménagement du territoire. Aujourd'hui, cette question crée de nouvelles scènes de débats et conflits un peu partout dans le monde. On peut penser au découplage entre la région métropolitaine londonienne et le reste du Royaume-Uni à l'occasion du Brexit, aux oppositions géopolitiques états-uniennes et bien sûr au mouvement français des Gilets jaunes. Ces trajectoires divergentes donnent lieu à des interprétations souvent trop rapides et essentiellement binaires : opposition entre les métropoles et les « périphéries », entre les villes et les campagnes, entre les Nords et les Suds à l'échelle mondiale ou entre l'est et l'ouest de l'Union européenne à une échelle plus régionale d'analyse.

L'objectif de cet ouvrage est de dépasser ces approches simplificatrices.

Il s'agit de faire le point sur ces questions en proposant une analyse détaillée de ces différences, de ce qui distingue, discrimine, parfois pénalise certains groupes sociaux dans leurs territoires multiples d'appartenance. Les textes ont été choisis pour couvrir le sujet à différentes échelles d'actions et niveaux d'observation (du quartier au monde). L'ambition est donc de décrire les inégalités et leurs traitements selon les unités géographiques considérées, mais aussi selon les interdépendances entre celles-ci. Cette démarche permet de reconsidérer les échelles d'analyse de ces processus et donc la très débattue « bonne échelle » d'action à même de les endiguer.

 

Quels sont les principaux enseignements ?

Pour éclairer un sujet aussi vaste et ambitieux, l'angle d'approche privilégié est celui du développement territorial, qui mesure l'amélioration (ou non) des conditions de vie d'une population située, et son corollaire en termes de politique publique, à savoir l'aménagement de l'espace.

L'ouvrage propose une mise en regard entre des éléments de diagnostics rétrospectifs et multiscalaires, et des analyses portant sur les actions menées en Europe et en France pour tenter d'endiguer ces disparités. Le dialogue entre les auteurs de l'ouvrage s'opère à plusieurs niveaux. Les concepts, les mesures et les éléments d'objectivation croisent les analyses historiques des disparités territoriales, ainsi que celles des politiques publiques. Le tout est appréhendé de l'échelle « macro-régionale » européenne à l'échelle infracommunale des quartiers prioritaires de la politique de la ville en France.

Si l'on devait résumer, je reprendrais les propos de Thomas Piketty qui ouvre cet ouvrage, à savoir que nous avons tenté de savoir comment concilier décentralisation, équité, liberté locale et égalité des chances. Cela passe par des efforts de solidarités macro-locales et des politiques adaptées aux spécificités et complémentarités locales.

 

Pouvez-vous nous donner quelques exemples sur la base des articles de l'ouvrage ?

L'ouvrage est construit autour de chapitres qui se « répondent » et se complètent. Par exemple, mon chapitre analyse de façon détaillée les effets de la métropolisation sur les inégalités territoriales en France depuis près de 40 ans, tandis que celui de Laurent Davezies aborde ces questions en termes de transferts de revenus et d'enjeux européens. Autre exemple, l'article de Philippe Estèbe et Xavier Desjardin montre que la dénonciation des "fractures territoriales" est un fil rouge des politiques d'aménagement en France, liée à l'essor de la géographie statistique au XIX° et au souci de l'unification républicaine mobilisée lors de la reconstruction de l'après Seconde guerre mondiale. Les auteurs insistent sur le fait que les représentations géographiques se montrent performatives vis-à-vis des politiques publiques. Frédéric Santamaria apporte un regard européen sur ces questions de politiques publiques et de cohésion. En regard également la thèse de Eric Charmes sur les mutations sociologiques et politiques du rural, ou des campagnes, sous l'effet de la périurbanisation et celle de Josselin Tallec qui apporte un éclairage original sur la question des villes moyennes face au processus de métropolisation. Afin l'ouvrage se termine par une lecture urbaine, zoomée à une échelle fine, traitant de la notion de ségrégation urbaine. Le texte de Sylvie Fol et Leila Frouillou s'ouvre sur une discussion des politiques visant à lutter contre ces processus.

 

[23/02/2023]