Réformer la DGF : « entre pertinence et paradoxes »


Interview de Luc-Alain Vervisch

Repoussée d'un an lors de la discussion budgétaire au Parlement, la réforme de la DGF n'en demeure pas moins l'un des enjeux majeurs de la réforme des finances locales.

Luc-Alain Vervisch, professeur associé à l'Université de Cergy-Pontoise et directeur de Kalyps Consultants, nous livre son analyse: une réforme qui dépasse très largement la seule matière financière et dont les contours, non sans paradoxe, s'imposeront inéluctablement aux collectivités.

 

1) La réforme de la DGF est souvent présentée comme inéluctable, pourquoi apparaît-il si nécessaire de la réformer?

Je pense que le sentiment général est qu'une réforme de la DGF est nécessaire et sans doute inévitable. La DGF cristallise les situations issues du passé, c'est ainsi que certaines communes perçoivent des montants qui résultent de leurs recettes fiscales des années 60 alors que tout a profondément changé: les territoires comme les modes de vie sont frappés par la mobilité et l'instabilité, sans compter les très nombreuses incertitudes institutionnelles. Je crois ainsi que la difficulté n'est pas tant dans le fait de trouver des critères objectifs de répartition que d'anticiper les résultats sur des territoires en cours de formation ou de recomposition (fusion d'EPCI, communes nouvelles, métropoles…). Aussi paradoxal soit-il, c'est l'incertitude de nouvelles institutions qui ralentit une redéfinition de la DGF. Cela explique le report d'un an au cours de la discussion parlementaire sur le projet de loi de finance 2016 mais les modalités pratiques sont maintenues. Et on peut légitimement y croire pour 2017 sous réserve de quelques adaptations en cours de réflexions.

 

2) Quel(s) intérêt(s) pour l'intercommunalité d'une telle réforme?

L'intérêt se situe, me semble t'il à deux niveaux. D'une part, c'est pour l'intercommunalité rentrer "dans le lot commun" de la DGF. D'autre part, et d'une façon peut être plus stratégique, c'est aussi la possibilité pour les communautés de se voir confirmer , avec la dotation de centralité, une sorte de rôle pilote dans l'allocation et la répartition des

moyens au niveau du territoire comme on l'a vu avec le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). Il apparaît ainsi très clairement que le sens d'une telle réforme laisse entrevoir un progrès des logiques de territorialisation chère aux intercommunalités.

 

3) Et dans un contexte de baisse croissante des dotations, la réforme de la DGF peut-elle amortir le choc?

Globalement non, ce n'est pas son but car la réforme se fait à volume financier constant et il est même possible que ce soit le contraire qui se passe si les modalités retenues sont conservées en l'état.

La réforme provoquerait un transfert de ressources des EPCI urbains (communautés d'agglomération, urbaines, métropoles) vers les communautés de l'espace rural notamment celles en fiscalité additionnelle. Or, les communautés de l'espace urbain contribuent plus que les autres au redressement des comptes publics. Il s'agit de fait d'un bonus au rural organisé qui peut s'expliquer au regard du sentiment commun d'abandon de ces territoires.

 

4) Et au delà de la seule question de la DGF, quel avenir se dessine pour les ressources de l'intercommunalité ?

Je crois qu'il faut considérer que la question des ressources intercommunales n'est pas agencement fiscal ou financier, mais elle demeure intimement liée à des réformes institutionnelles inachevée. Les intercommunalités trouveront une "dynamique fiscale" quand les citoyens choisiront clairement un projet communautaire, et que les EPCI seront enfin une échelle de gouvernement pleinement lisible et reconnue. Aujourd'hui il

manque une perception de la légitimité de l'intercommunalité, là où il existe pourtant un potentiel d'évolution de la contribution publique.

En attendant, ce que l'on présente aujourd'hui sous le label de « la réforme » dans le but de faire face à la raréfaction de la ressource ou au besoin de rationalisation,  n'est qu'en réalité une quête, souvent imparfaite, d'une stratégie partagée entre entre communes et intercommunalité.

[07/03/2016]