Interview d'Emmanuel Roux maître de Conférences en géographie à l'université Grenoble Alpes, spécialiste de l'observation territoriale (UMR PACTE)


Interview d'Emmanuel Roux

Connaissance territoriale et action publique : quels enjeux pour les intercommunalités ?

Quelles sont les interrogations initiales qui ont conduit à vos réflexions ?

Quels sont les liens entre connaissance territoriale et action publique ? Je dirai que c'est un peu la question principale qui est traitée dans nos récents travaux de recherches. Nous avons en effet conduit une réflexion[1] qui avait pour perspective d'interroger le sens des diagnostics de territoire, leurs intérêts, leurs fonctionnalités, leurs utilités… pour penser les stratégies territoriales et renouveler l'action publique territorialisée. Les diagnostics sont une figure assez incontournable de l'action publique en France mais à quoi servent-ils (encore ou vraiment) aujourd'hui ? Ainsi, nous avons souhaité savoir quels regards portaient les acteurs institutionnels et les acteurs des intercommunalités sur les diagnostics de territoire. Il s'agissait d'imaginer les évolutions possibles dans la façon de conduire l'action publique. Aussi nous avons travaillé notamment en partenariat avec l'Adgcf en réalisant par exemple une enquête auprès des DGS du réseau des intercommunalités de l'Adgcf et organisé également des focus groupe… réunissant des panels de DGS et techniciens d'intercommunalités afin de mettre en débat et confronter nos observations.

Quels en sont les principaux enseignements ?

Difficile de résumer la pluralité et richesse des débats et des échanges avec l'ensemble des acteurs rencontrés, mais on peut à grand traits donner quelques éléments de réflexion.

Pourquoi toujours plus de diagnostics ? Le diagnostic est en quelque sorte un héritage d'une organisation régalienne d'un besoin de connaissance et d'observation, d'accompagnement voire de contrôle de l'action sur les territoires. En amont il est issu d'une routine d'écriture des textes législatifs qui par habitude tendent à imposer le diagnostic comme primat de l'action, et ce, quels que soient les domaines et/ou les territoires considérés. L'augmentation et l'arythmie de la production de diagnostics coïncide à la fois avec les évolutions successives des cadres de l'action et également avec le calendrier électif national et local. A chaque évolution législative en matière d'action publique territoriale, correspond sa cohorte de diagnostic. Aussi on estime à partir de notre travail que plus de 70% des diagnostics produits au sein des intercommunalités sont en réalité issus d'obligations réglementaires ! Et à cela s'adjoint après chaque nouveau mandat électif, un sentiment de besoin de connaissance renouvelé et d'acculturation territoriale d'autant plus renforcé que les périmètres et compétences intercommunales évoluent. Le diagnostic est en quelque sorte vu par les pouvoirs publics comme un instrument permettant de s'assurer que les territoires se saisissent de problématiques sociétales et d'action publique au nom de l'intérêt commun, et désormais au nom de l'égalité des territoires.

Mais dans le même temps les diagnostics sont considérés de façon assez unanime pour les intercommunalités, comme des exercices « obligés » pas très novateurs pour renouveler l'action publique. Trop volumineux, trop descriptifs et peu analytiques, trop techniques ou experts, trop normés, trop bornés, trop peu vulgarisés, trop segmentés ou cloisonnés, trop peu appropriés… voilà les griefs les plus récurrents associés aux diagnostics.

Pour autant, malgré leurs défauts, ils n'en restent pas moins acceptés (certes parfois par nécessité, mais aussi par besoins) et peu remis en cause dans leur essence même. Que ce soit d'un point de vue de la connaissance qu'ils peuvent apporter et/ou invitent à mobiliser, ou pour participer de l'aide à la décision et à la conduite de l'action, l'ensemble des intercommunalités accorde une place prépondérante et une grande utilité aux diagnostics de territoire.

Ce point de vue vient plutôt contrecarrer deux hypothèses esquissées au début du travail : la première considérant que les diagnostics ne sont plus utiles pour produire de la connaissance et pour générer de l'action publique ; et la seconde considérant que les diagnostics sont des outils plutôt plus investis par les « petites intercommunalités » que par les « plus grandes ». Or on a observé que ni les diagnostics sont jugées comme inutiles pour la production de connaissances au service d'action publique locale ; ni les communautés d'agglomérations et les métropoles jugent moins utiles le diagnostic que les communautés de communes pour permettre le renouveau de connaissance et la conduite de l'action publique, bien au contraire.

Ainsi se passer de diagnostics ne garantit pas aux yeux des représentants d'intercommunalités plus d'efficacité de l'action publique y compris en assumant et en s'appuyant sur le « sens politique » des élus et de leurs conseillers. Les diagnostics ont tant pour les élus que pour les techniciens d'abord une fonction cognitive au service de la décision : mieux se connaître pour mieux agir. Pour autant, la segmentation, la juxtaposition par thèmes, domaines ou compétences ne garantit pas in fine qu'ils participent réellement à la (re)définition de stratégies territoriales. Si ce n'est pas ce qui est demandé à l'exercice de diagnostic, ce caractère peu stratégique ou opérationnel demeure considéré comme l'une de ses faiblesses à combler. Mais les diagnostics ont aussi d'autres fonctions : ils sont aussi potentiellement objets alibis, assurantiels, ressources, fusibles, légitimateurs, médiateurs, fédérateurs, performatifs… Autant d'atouts qui expliquent aussi leur utilité. Les diagnostics sont ainsi protéiformes et répondent à des logiques plurielles et évolutives. En ce sens, ils ne sont pas des objets immuables et peuvent donc évoluer ! Ils peuvent par exemple devenir plus ciblés, plus partagés, plus opérationnels, plus évaluatifs, plus prospectifs,... Enfin d'autres formes de connaissances et d'intelligences collectives sont aussi à penser !

 

Quelles sont pour vous les perspectives potentielles de poursuites d'études et de réflexions pour les collectivités ?

A l'image de la réflexion que nous conduisons avec Grenoble Alpes Métropole sur les rapports entre connaissances et actions, je dirai que les intercommunalités peuvent travailler encore à l'amélioration de leurs productions de connaissance en termes de démocratisation. Un autre chantier est sans conteste celui de l'organisation de la connaissance : en capitalisant, en mettant en réseau, en internalisant, en partageant, en combinant… afin qu'elle puisse mieux être saisie. Enfin l'enjeu est aussi de travailler à de nouvelles formes d'intelligences territoriales capables de mobiliser différentes formes de connaissances de façon plus opérationnelle et davantage portée vers la pensée de la stratégie et/ou l'action.

Contact : rf/sepla-elbonerg-vinu//xuor/leunamme

 



[1] Le travail de recherche « Les diagnostics de territoire : quelle connaissance pour quelle action » a été commandité par le CGET, et réalisé entre 2015 et 2016 sous la direction d'Emmanuel Roux par une équipe de chercheurs, chercheurs associés et ingénieurs d'études du laboratoire de recherche PACTE de l'Université de Grenoble Alpes, parmi lesquels : Quentin Marron, Louis Roux, Magali Talandier, Rémi Le Fur, David Le Bras.

[28/09/2016]