Les Livings Labs au service de l'action publique locale

Respectivement maître de conférences à l'Institut de Géographie Alpine et doctorant au sein de l'UMR Pacte, Emmanuel Roux et Quentin Marron décryptent les dynamiques des « living labs » et montrent comment ceux-ci renouvellent les façons de penser l'action publique territoriale


Les Livings Labs au service de l'action publique locale

Comment expliquer l'engouement actuel autour des livings labs ? Qu'est ce qui sous-tend leur dynamique ?

Les Living Labs sont aujourd'hui régulièrement convoqués pour aborder et impulser des processus d'innovation et de production de connaissances au sein des territoires. Leur démultiplication renvoie en partie à la nécessité de mieux appréhender les réalités territoriales contemporaines mais aussi à un besoin de démocratisation de l'information. On dénombre plus de 300 structures labellisés « Living Labs » en Europe. Notons que la plupart d'entre eux, 65 %, se localisent dans des villes de plus de 100 000 habitants. Dit autrement, les Living Labs apparaissent comme des espaces dédiés à l'innovation ouverte, essentiellement présents dans des contextes urbains. Cette spécificité des Living Labs s'inscrit dans le prolongement et le renforcement du rapport historique entre villes, connaissances et innovations territoriales. La concentration des lieux de connaissances et savoirs dans les espaces urbains joue en effet depuis longtemps un rôle d'accélérateur des innovations. La ville est également un espace de concentration des sites de production, des classes créatives ou encore un espace aux aménités diverses, produisant un ensemble d'externalités positives essentielles aux processus de développement territorial. Dans ce contexte, les Livings Labs apparaissent comme un lieu inédit de ressources mobilisant une pluralité d'acteurs en quête de solutions pour les territoires ; ce faisant, ils concourent à la redéfinition des façons de penser l'action publique.

 

Les Living Labs comme lieu de renouvellement de l'action publique et du développement des territoires : c'est l'hypothèse que vous formulez ?

Tout à fait. L'observation des Living Labs dans leurs thématiques, leurs structurations ou composition permettent de mettre en débat leurs inscriptions dans la pensée et les modes d'organisation de la fabrication des territoires même s'ils sont a priori encore peu pris en compte par les pouvoirs publics. Pour autant, l'action territoriale est dans une période de transition. On observe à première vue les ingrédients d'une évolution de méthodes, et de postures pour conduire les politiques locales. Celles-ci entrent en résonnance avec les principaux piliers du concept de Living Lab : méthodologie d'innovation ouverte portée et centrée sur l'usager ; écosystèmes d'innovation ouverte avec un partenariat de type « partenariat public, privé, personnes » ; participation des usagers à la recherche de solutions, à la création de nouveaux services, de produits ou d'outils, et à la création de lieux démonstrateurs (virtuels et physiques) ancrés dans un territoire. À travers ces principes, et en s'appuyant sur les usagers (habitants et citoyens), l'approche des Living Labs ouvre des perspectives de renouvellement de la manière de concevoir la connaissance territoriale et l'action publique. Si bien, que l'on tend désormais à les considérer comme partie prenante d'une économie de la connaissance, voire d'une société de la connaissance.

 

Quelle est la plus-value potentielle pour les acteurs locaux ?

Les Living Labs peuvent contribuer aux réflexions relatives au processus et sens de développement des territoires ainsi qu'au renouvèlement des pratiques des constructions métropolitaines. Ce sont des espaces de rencontres et d'échanges, des supports techniques, logistiques et de communications pour les innovateurs, et des lieux d'expressions et d'actions pour les utilisateurs. De ce fait, ils sont susceptibles de favoriser des rapports de réciprocités et de partage de ressources cognitives plus ou moins hétérogènes. Ces formes de coopérations inter-organisationnelles, interpersonnelles peuvent nourrir l'intelligence des territoires. Et réciproquement les territoires peuvent favoriser les synergies entre une diversité d'acteurs. La mise en réseau permet aussi la révélation, l'identification de ressources latentes et mobilisables pour les rendre actives afin de solutionner des problématiques territoriales. En tant que potentiel capital social on peut considérer les Living Labs comme des espaces de créativités urbains. Dans les pratiques, les Living Labs, tant dans l'ingénierie qu'ils suscitent que dans les acteurs qu'ils mobilisent, sont au fond l'expression polymorphe de façon penser le développement des agglomérations et de leurs espaces environnant.

 

Quelles sont, en pratique, les modalités de création et d'action des Living Labs ?

De façon assez marginale, dans un cas sur dix, les Living Labs sont à l'initiative des institutions publiques ou des collectivités territoriales. On recense ainsi des collectivités qui innovent, impulsent, organisent, imaginent les services aux publics (Région Pays de la Loire, Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, région Champagne-Ardenne, département du Val-d'Oise, métropole du Grand Lyon ou encore le laboratoire public de la 27ème région). On peut ainsi y voir là un média pour (re)penser leurs rôles, leurs missions, leurs fonctionnements, leurs contributions à l'accès des publics à la ville et à l'innovation, et ce dans des registres pluriels. Qu'il s'agisse par exemple d'investir les questions d'éducation en pensant l'école de demain (Ways Of Learning for the Future Living Labs à Bruxelles) ; qu'il s'agisse d'envisager l'accès à la santé pour tous (Tele Health Aging Territory Living Labs à Besançon) ou de favoriser les rapports à urbains qu'entretiennent les personnes âgées (Gerontechnology Living Labs à Paris) ; qu'il s'agisse enfin d'imaginer des solutions innovantes pour prévenir les populations des risques et catastrophes environnementales (QuakeUp à Sophia Antipolis) ; ces initiatives ont toutes pour objet de contribuer à la réduction de fragilités territoriales, qu'elles soient éducatives, sanitaires ou environnementales. Dans 25% des configurations, les Living Labs sont portés en France plutôt exclusivement par des structures privées. Dans ce cas de figure, l'innovation et l'expérimentation s'inscrivent notamment dans une perspective d'augmentation de qualité de vie des citoyens et de développement économique (ICT Usage Lab à Sophia Antipolis intégrant une dimension santé) et de développement culturel et touristique (i-matériel Lab à Paris ; Universcience à Paris). Dans la majeure partie des configurations (65 %), les Living Labs sont portés par une multiplicité d'acteurs qui peuvent concerner tout à la fois des collectifs associatifs, des entreprises privées, mais aussi des universités, des collectivités territoriales ou des pouvoirs publics. Ces configurations hybrides sont plutôt portées par le privé, mais avec l'aide du public sous forme de partenariat incluant dans plus de deux tiers des cas des co-financements. Cela concerne tous les niveaux institutionnels, de l'Europe aux intercommunalités, en passant par l'État, les régions et les départements. Elles peuvent porter là aussi sur des perspectives d'aménagement du territoire et de qualité de vie des citoyens (Lorraine Smart Cities Living Labs à Nancy, les ateliers Humanicité à Lille). Elles peuvent s'inscrire aussi dans des dispositifs de types cluster ou pôles de compétitivités : on indiquera à titre d'exemples les Living Labs respectifs de Ouest MediaLab à Nantes inscrit dans le cluster du même nom ; Nova Child à Cholet inscrit dans le cluster du même nom également. Dans ces cas de figure, les Living Labs peuvent être considérés comme les étendards ou prolongements visibles et opérationnels de politiques institutionnelles de développement ou d'actions territorialisées. Elles prennent également d'autres formes organisationnelles telles que des collectifs associatifs ou des établissements publics de coopération culturelle (Design Creativ Living Labs à Saint-Etienne) ou encore des établissements publics à caractère industriel et commercial (CESARS télécommunication à Toulouse). Les collectivités territoriales jouent ici le rôle de mise en condition favorable d'accompagnateurs et de promotion de l'innovation en favorisant son inscription territoriale, ses conditions d'expression et ses expérimentations « grandeur nature ». En bref, les champs d'investigation des Living labs sont pluriels.

 

Soit. Mais globalement, quelles sont leurs principaux usages ?

On peut considérer deux orientations en matière de finalités. La première envisage les Living Labs comme des ressources nécessaires pour accélérer les processus d'innovation et leur mise sur le marché, tout en réduisant par l'expérimentation les risques inhérents à la mise sur le marché des services, des usages et des produits. Cette place centrale et finale du marché est d'ailleurs reprise par l'organisme ENoLL (European Network of Living Labs), qui souligne qu'un des objectifs des Living Labs est de tester dans des conditions réelles et écologiques, des services, des outils ou des usages nouveaux dont la valeur est reconnue par le marché. Mais une seconde perspective est également envisageable, voire complémentaire. Considérant le détournement comme l'un des fondamentaux des Living Labs, on observera que ces derniers peuvent avoir aussi des portées plus sociales, culturelles ou environnementales en mobilisant les usagers comme ressources collectives et cognitives. Dans cette perspective, il est concevable de penser les Living Labs comme porteurs de bien-être tant individuel que collectif au sein des territoires.

[24/05/2018]