Antoine Brochet, analyse, dans sa thèse de doctorat, 1er prix de thèse 2018 du GRALE, GIS-CNRS, les ressorts de l'innovation dans le domaine de la gestion de l'eau.

« La Société Publique Locale (SPL) pour la gestion des services de l'eau, une innovation de gestion adaptée aux problèmes spécifiques des territoires »


Antoine Brochet

D'où proviennent les résistances des services d'eau potables des collectivités aux tentatives de réforme et de modernisation ?

Une résistance peut se définir comme une situation de tension (du problème technique à l'opposition résolue) observée lors de la mise en œuvre par une collectivité locale d'un instrument d'action publique (loi, règlement, indicateurs, etc.) imposé par un échelon supérieur (État, Union Européenne). Dans mon travail de recherche, je parle de résistance territoriale pour qualifier une résistance collective et stratégique à l'échelle d'un territoire construit.

Les services d'eau potable se prêtent bien à l'analyse de la dimension territorialisée des résistances car ils possèdent une dualité intrinsèque. D'un côté, la gestion de l'eau potable est une compétence des collectivités locales. À ce titre, les acteurs locaux bénéficient d'une large autonomie pour organiser la desserte en eau des habitants à partir des enjeux propres au territoire et en mobilisant des ressources hydriques situées à proximité des lieux de desserte. D'un autre côté, le secteur de l'eau potable est encadré par des normes européennes et nationales (techniques, sanitaires, juridiques, environnementales ou gestionnaires) toujours plus nombreuses et fortement standardisées. Ces normes ne sont pas produites par les acteurs locaux mais par des experts internationaux (International Water Association, Union Européenne, etc.). Cette dualité a pour conséquence que les normes de gestion de l'eau ne sont pas toujours adaptées aux réalités territoriales. Ceci renforce la probabilité de la survenue de résistances, lesquelles contribuent à l'émergence de créativité territoriale (innovation de gestion comme la SPL, innovation sociale, etc.) permettant de contourner ou de s'accommoder aux réformes.

 

Comment se manifestent les liens entre résistance et innovation dans la gestion de services d'eau ?

Dans l'agglomération grenobloise, une stratégie de résistance territoriale à la réforme territoriale a été construite par les acteurs historiques de l'eau (Régie des Eaux de Grenoble et Syndicat Intercommunal des Eaux de la Région Grenobloise). L'incompatibilité du modèle implicite de la réforme avec le fonctionnement du territoire a obligé les acteurs à construire à l'échelle territoriale des solutions adaptées face aux problèmes rencontrés. Les réformes territoriales reposent sur un certain nombre d'idées reçues, comme l'idée de grands services d'eau communautaires, unifiés et homogènes (un seul prix, un seul mode de gestion, un seul type de relation à l'usager, etc.) ou concernant les effets associés aux changements d'échelle : économies d'échelles, rationalisation de la gestion, etc.

Or, mon analyse a permis de nuancer la capacité du pouvoir intercommunal à fédérer les Communes membres et à rationaliser la gestion de l'eau du fait des autonomies locales existantes. J'ai montré que le transfert obligatoire de la compétence eau potable aux Communautés dans le cadre des lois MAPTAM et NOTRe n'aboutit pas à l'émergence d'une gestion de l'eau unifiée et standardisée à l'échelon communautaire, mais à des recompositions territoriales complexes du fait de la stratégie de résistance territoriale portée par les acteurs locaux. Celle-ci a finalement abouti à la mise en place d'une organisation hydrique mixte innovante avec d'un côté une gestion en régie directe par la Métropole et d'un autre côté une gestion de l'eau exercée en délégation de service public par une Société Publique Locale (SPL).

 

En quoi l'adoption d'une SPL peut-elle constituer une innovation de gestion pour les intercommunalités ?   

À l'échelle de l'agglomération grenobloise, le choix de créer une SPL adossée à une régie communautaire pour assurer la desserte en eau des habitants a permis de répondre à des enjeux concernant à la fois la ressource en eau, la performance économique du service, mais aussi sociaux (tarification sociale, gouvernance participative, etc.). Plus largement, la SPL est un outil d'innovation en ce qu'elle permet la construction de périmètres de gestion adaptés aux problématiques spécifiques des territoires (structuration des réseaux d'eau, emplacement de la ressource en eau, etc.) alors que la gestion traditionnelle de l'eau est réalisée à l'échelle d'une circonscription administrative donnée (commune ou communauté). En outre, le service n'est plus administré par une collectivité à l'échelle d'un périmètre administratif central mais peut faire l'objet de négociations et de dialogues interterritoriaux entre les différentes collectivités actionnaires (communes, communautés, départements, régions etc.), mais également entre ces dernières et les différents opérateurs de réseaux éventuellement liés par contrat avec la SPL. Enfin, la gestion du service ne répond plus à une logique exclusivement fonctionnelle (assurer la desserte en eau potable des usagers), mais s'enrichit d'une vision en termes de projet de territoire. Autrement-dit, la collectivité actionnaire peut faire appel à la SPL pour mettre en œuvre un projet qu'elle n'aurait pas pu porter seule et qui ne se limite pas nécessairement à la desserte en eau. Cependant, il faut rappeler que le potentiel d'innovation sociale de la solution SPL dépend du volontarisme politique associé. En effet, il ne saurait y avoir de solution vertueuse par nature !

[28/09/2018]