Les métropoles françaises et les coopérations inter-EPCI : les intercommunalités ont-elles pris un virage « interterritorial » ?

Entretien avec deux spécialistes « secteur public local » du cabinet KPMG : Paul Manon, consultant et François Moulère, associé.


Interview de Paul Manon et François Moulère

Un peu plus de trois ans après le Pacte Etat-Métropoles et la signature des contrats de coopération métropolitaine, où en est-on des relations interterritoriales ? Peut-on dire que les Métropoles coopèrent avec leurs voisins et leur hinterland ?

En France, on dresse souvent le portrait des Métropoles comme des zones urbaines dynamiques concentrant emplois et richesses et se développant dans l'ignorance autres territoires. Les Métropoles seraient en somme les enfants gâtées de la mondialisation, les autres territoires en seraient les parents pauvres. Non seulement la construction de représentations en « gagnants » et « perdants » est assez dépourvue de sens, mais surtout, le discours consistant à faire des Métropoles des collectivités qui ne se soucieraient pas du monde qui les environne est en réalité plutôt faux. Globalement, toutes les Métropoles entretiennent des relations avec ce qu'il est convenu d'appeler les « territoires environnants » dans lesquels figurent pêle-mêle leur proche périphérie, les zones rurales ou montagneuses plus éloignées ainsi les villes petites et moyennes plus ou moins proches.

Mais toutes les Métropoles ne coopèrent pas de la même façon ni avec les mêmes partenaires. En l'absence de toute obligation en la matière, les choix de partenaires de coopération se révèlent souvent fondés sur des opportunités « politiques ». Ils dépendent de la volonté des élus de travailler ensemble. Aussi, les coopérations peuvent se dérouler avec des territoires aux caractéristiques variables, tout territoire pouvant devenir un partenaire de coopération :  intercommunalité peu peuplée située dans l'hinterland rural et relativement éloignée, communauté urbaine comptant plusieurs centaines de milliers d'habitants, communauté d'agglomération périurbaine située à proximité de la Métropole. Plusieurs Métropoles ont même engagé des dialogues bilatéraux et développent des projets ensemble.

Pourquoi les territoires coopèrent-ils entre eux ? L'intercommunalité, n'est-ce pas déjà assez ? L'interterritorialité peut apparaître comme un facteur de complexité supplémentaire…

Les territoires coopèrent parce qu'ils y ont intérêt. Quatre avantages principaux peuvent être identifiés. C'est un moyen, pour les « environnants », de bénéficier de la dynamique de développement de la Métropole, avec l'objectif d'attirer des emplois nouveaux. C'est ensuite un levier pour agir à la bonne échelle, celle des bassins de vie ou d'emploi, par exemple pour organiser les mobilités quotidiennes. C'est aussi une façon d'exploiter les complémentarités locales, en particulier dans le champ touristique, pour doter le territoire d'avantages comparatifs : une offre « nature » et activités de plein air dans la ruralité associé à une offre d'activités culturelles, artistiques, patrimoniales en milieu urbain. C'est enfin la solution pour augmenter les capacités d'action par la mutualisation de moyens humains et des expertises dont les Métropoles disposent, avec comme exemple probant les démarches d'études prospectives et d'analyses territoriales.

Il existe donc des sujets qui seraient interterritoriaux « par nature » ?

Pas exactement, mais plusieurs champs d'action publique nécessitent de conduire de se coordonner à des échelles très larges, qui coïncident rarement aux périmètres intercommunaux. Trois domaines sont particulièrement concernés : les mobilités et le transport, le tourisme et enfin le développement économique.

L'interterritorialité existe déjà d'une certaine façon, à travers les mécanismes de péréquation financière horizontale. Faut-il renforcer ces mécanismes ? 

C'est un élément bien sûr essentiel mais les enjeux des coopérations interterritoriales dépassent largement la seule question financière. La volonté de coopérer est une constante pour les élus des territoires environnants. Leurs attentes sont fortes vis-à-vis des Métropoles, en particulier quand de tels partenariats n'ont pas (encore) été développés. Mais il ne s'agit pas, en général, d'une exigence de redistribution des richesses au nom d'un principe de péréquation. Ces attentes sont plutôt à mettre en rapport avec la notion de complémentarité entre les mondes urbain, périurbain et rural. Conscients de la limitation de leurs capacités d'action, les acteurs « non métropolitains » estiment que l'alliance avec la Métropole permettrait de réaliser des projets aux bonnes échelles et de porter une ambition de développement commune.

Nombreux sont ceux qui rejettent le discours du « ruissellement », selon lequel les richesses produites dans les centres urbains bénéficieraient mécaniquement aux espaces qui les entourent et justifiant des politiques de développement qui feraient des Métropoles les locomotives de l'activité économique. Ces élus veulent au contraire que soient institués des rapports d'égalité et de réciprocité entre les territoires, ce qui suppose au préalable de reconnaître que les Métropoles ont besoin de leur hinterland pour être en bonne santé. C'est là que l'on trouve les ressources en eau, en bois, les productions agricoles et souvent industrielles, les espaces de loisirs et de détente … qui participe du dynamisme et du rayonnement des Métropoles.

Comment le gouvernement et le législateur pourraient-ils encourager les territoires à coopérer… et d'ailleurs le faut-il ?

Oui, les coopérations sont vertueuses. D'ailleurs, les élus des territoires ruraux et des villes éloignées des métropoles manifestent un souhait de travailler avec leurs homologues métropolitains. Pour les encourager, il faut d'abord … laisser faire les élus ! C'est-à-dire ne pas imposer d'en haut une obligation interterritoriale, ni créer d'instance dédiée et pilotée par l'Etat, cela ne fonctionne pas. Sans quoi, les conférences territoriales de l'action publique auraient déjà résolu cette question. Les territoires sont au contraire dans l'attente d'un soutien pour financer l'ingénierie de projet : l'argent ne manquant pas … pour investir, mais pour investir, il faut faire des dépenses de fonctionnement : pilotage, concertations, lancement des études, réponses aux appels à projet… C'est ce qui manque aujourd'hui, en particulier dans les territoires les plus en difficulté.

Ils demandent aussi plus de souplesse, en créant un droit à l'expérimentation et à la différenciation. Plusieurs freins pourraient être levés, comme l'autorisation de prêts de personnel pour généraliser les logiques de « mécénat de compétences » entre collectivités ou encore l'introduction de mesures dérogatoires au droit de la commande publique pour favoriser l'achat de produits alimentaires locaux, qui sont aujourd'hui très contraints. 

Les élus locaux et les directeurs territoriaux demandent enfin et surtout de la constance : il faut que l'Etat porte un discours clair et se dote d'une politique de soutien à l'interterritorialité qui s'inscrive dans le temps long. Aujourd'hui, un sujet chasse trop vite l'autre au gré des majorités et de l'agenda politique. Ainsi, le pacte Etat-Métropoles a disparu des écrans radars, remplacé par d'autres projets, alors qu'il commençait tout juste à porter ses fruits. Trois ans après sa signature, il est temps de le relancer !

[10/10/2019]