« Devenir de la commune : ne pas se tromper de virage culturel »

Dans une tribune publiée par la Gazette des Communes le 4 novembre dernier, David Le Bras, délégué général de l'ADGCF et Martin Vanier, professeur à l'école d'urbanisme de Paris, reviennent sur le courriel adressé par le Ministre Sébastien Lecornu aux 34 968 maires de France, intitulé « Tournons tranquillement mais sûrement la page de la loi NOTRe ».


Le ministre chargé des collectivités territoriales Sébastien Lecornu veut remettre « la mairie au centre du village », ce « premier niveau d'un service public à la française, entité naturelle de la démocratie locale, plus que jamais à sanctuariser dans la République ». Il propose même, contre la « doxa du gigantisme », un retour à l'idéal municipal de… 1789.

En France, comme chacun sait, 53 % des communes ont moins de 500 habitants. Dit autrement, en interpellant cette fraction majoritaire du sanctuaire de la démocratie, il s'adresse en réalité à 6, 4 % de nos concitoyens. Mieux : 85 % des communes ont encore moins de 2 000 habitants et disposent de ce fait de marges de manœuvre financières squelettiques, de services réduits au minimum administratif et technique (4 fonctionnaires en moyenne) et d'une compétence dite générale inatteignable.

 

La commune est une fiction politique

Le ministre Lecornu sait cela. Il sait que dans l'immense majorité des situations, la commune est une fiction politique qui ne doit son salut qu'à l'intercommunalité et à l'adossement à toute la chaîne des pouvoirs publics. Bien sûr, la commune conserve un sens civique, culturel, identitaire, mémoriel et joue une fonction irremplaçable dans l'attachement des populations aux territoires, mais plus faible que jamais dans la conception et le portage des politiques publiques c'est-à-dire pour produire ces résultats que « nos citoyens réclament ». Du moins pas en deçà d'un seuil de population significatif. C'est l'intercommunalité qui rend les communes agissantes, pour l'immense majorité d'entre elles.

Le ministre Lecornu sait que la petite commune n'est plus, depuis longtemps, le premier niveau du service public à la française. La plupart des services d'intérêt collectif sont désormais intercommunaux. 75 % des actifs travaillent en France hors de leur commune et c'est souvent en dehors d'elle qu'ils recourent aux services du quotidien. La société des accès, de la mobilité, et des services en réseau a totalement modifié l'univers matériel, culturel et sociétal qui fonda l'idéal municipal républicain il y a plus de deux siècles. Perpétuer cet idéal implique donc de le reformuler.

Le ministre Lecornu sait tout cela, et il sait aussi que nous traversons, en France, en Europe et ailleurs, une grande période de populisme, de nostalgie, de démagogie territoriale et de rétraction localiste. Son adresse aux maires, dont on sait le désarroi profond, prend le risque d'alimenter ces registres. Il y a, actuellement un peu partout, un bénéfice électoral à en espérer. Mais rien ne serait pire pour les communes elles-mêmes que de renoncer au virage intercommunal qu'elles négocient depuis quelques décennies et qui leur permet de continuer à s'ajuster au monde qui vient. L'enjeu est de taille pour le bloc local : ni plus ni moins que retrouver du « sens » à l'aune d'un seul et unique principe : la recherche permanente de l'intérêt général.

[15/11/2019]