« Le recours aux ressources de la recherche reste pour l'essentiel réservé aux très grandes collectivités »

Maître de conférences à l'Université de Grenoble-Alpes (laboratoire Pacte), Grégoire Feyt évoque les enjeux que constitue la densification des liens entre territoires, enseignement supérieur, recherche et innovation ; à cette occasion, il annonce la diffusion prochaine d'une enquête sur cette problématique auprès des directeurs généraux d'intercommunalité, réalisée en partenariat avec l'ADGCF et la Conférence des Présidents d'Université (CPU).


Interview de Grégoire Feyt

Face aux évolutions techniques, économiques et sociétales, aux enjeux environnementaux, mais également aux mutations des périmètres, cadres, pratiques de l'action publique, les collectivités sont confrontées à la nécessité de tout à la fois faire différent et différemment. Cette injonction concerne non seulement leurs champs de compétences respectifs mais également des problématiques inédites, avec toute la combinatoire imaginable.

Cette complexité de la décision, de l'action, de l'évaluation se retrouve dans toutes les "familles" de territoire partageant des contextes et des problématiques similaires. Or, là où jadis l'Etat central omnipotent et omniscient s'était doté -certes de manière très sectorielle- de structures et de protocoles  permettant, à partir des terrains, d'identifier et de faire "remonter " des besoins nécessitant  de la recherche ou de l'expérimentation, de les faire traiter par des centres dédiés ou au travers d'appels à projets,  puis d'en faire "redescendre" les enseignements à travers par exemple des actions de formation, force est de constater que le monde territorial n'est pas encore organisé pour ce faire dans une perspective de mutualisation des besoins, des réponses et des moyens. Le recours aux ressources de la recherche reste pour l'essentiel réservé aux très grandes collectivités disposant de la "masse critique" en termes de problématique, de ressources humaine et financière et surtout de réseaux relationnels permettant de susciter l'implication de scientifiques. Ainsi la Délégation développement économique, emploi et savoirs du Grand Lyon dispose d'un service dédié à la promotion et l'accompagnement des collaborations entre les services –notamment techniques- de la collectivité et des laboratoires. On peut aussi évoquer les programmes POPSU (popsu.archi.fr), portés par l'Etat, qui constituent un dispositif fructueux et « historique » de collaboration scientifique en partenariat avec des métropoles.

 

« Des différences de culture et d'agenda »

 

Si le monde de la recherche publique s'est pour sa part doté depuis longtemps de structures visant à favoriser et accompagner les partenariats avec les acteurs industriels (telles que les Sociétés d'Accélération du Transfert de Technologie ou les incubateurs universitaires), il n'en va pas de même s'agissant de la collaboration avec les collectivités territoriales. Les explications en sont diverses : à l'absence d'une sollicitation explicite ou organisée précédemment évoquée, s'ajoutent entre autres choses le caractère très fréquemment transdisciplinaire des problématiques, les différences de "culture" et d'agenda, les contraintes administratives et comptables, les contingences politiques…

 

Sans occulter les échanges ou collaborations ponctuelles entre praticiens territoriaux et chercheurs, il devient donc impératif de s'interroger plus largement sur la nécessité d'organiser la relation entre les collectivités territoriales et le monde de la recherche d'une manière qui soit à la fois plus ouverte, plus efficiente et profitable à la diversité des parties prenantes et bénéficiaires potentiels. Pour les collectivités, l'enjeu est de donner lieu et matière des recherches portant sur des problématiques à la fois spécifiques et partagées, débouchant sur des formes de livrables mobilisables dans des perspectives opérationnelles. Pour les universitaires, il s'agit de travailler sur des questionnements scientifiques suffisamment génériques ou inédits pour justifier d'une démarche de recherche et non d'expertise.

 

« Le lancement d'une enquête en ligne »

 

Afin de connaître l'avis des responsables territoriaux quant à l'opportunité, la finalité, la nature et au fonctionnement d'un dispositif de R&I (Recherche&Innovation) dédié aux problématiques et aux attendus spécifiques de l'action territoriale dans sa diversité, l'ADGCF en partenariat avec la Conférence des Présidents d'Université (www.cpu.fr) vous proposera courant janvier de répondre à une courte enquête en ligne. Celle-ci s'inscrit dans le prolongement logique d'une autre enquête réalisée en 2016, toujours en lien avec l'ADGCF, dans le cadre d'une thèse (Yoann MORIN, laboratoire PACTE-Grenoble) portant sur le lien entre l'Université et les territoires (www.theses.fr/197566340).

En fonction des enseignements, il pourra être envisagé de proposer aux associations du « bloc local » et à la CPU de conduire une démarche commune auprès des ministères susceptibles d'être concernés, visant à promouvoir l'idée d'expérimentations à l'échelle nationale ou régionale.

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[19/12/2019]