Portrait de Jacqueline Bruant, DGS de la communauté d'agglomération de l'Espace Sud Martinique – 12 communes – 119 693 habitants


Portrait de Jacqueline Bruant

Quel est votre parcours professionnel ?

Après un 3ème cycle de gestion des collectivités locales, j'ai commencé ma carrière dans la commune du Marigot (3307 habitants) en 1989. J'ai débuté au service finances et j'y suis restée un an avant d'être appelée par le Conseil général au bureau  des effectifs et de l'emploi à la direction des Ressources Humaines. Ce poste, qui consiste à traiter les dossiers complexes en effectuant des recherches approfondies, m'a beaucoup appris mais mes compétences étaient sous utilisées et je m'ennuyais. C'est pour cette raison que lorsqu'on me propose de devenir responsable administrative et financière de l'ARS de Guyane en 1991, j'accepte. À mon arrivée, le Conseil Régional de Guyane, est en difficulté. Le nouveau président demande un contrôle de tous les satellites régionaux à l'inspection générale de l'administration. Suite à la décision de réduire les effectifs des satellites et sur recommandation de l'inspecteur, je suis recrutée  par voie contractuelle comme directrice financière de la région. Je reste 5 ans en Guyane, j'en profite pour passer le concours d'attachée puis je décide de rentrer en Martinique. Mon réseau m'a permis d'être appelée par le maire du François (17 540 habitants) qui recherche un directeur des finances et des marchés publics, poste que j'ai occupé pendant 3 ans.

Puis en 2000, je deviens directrice des finances du Syndicat Intercommunal du Centre de la Martinique (SICEM) qui a en charge le traitement des déchets sur le territoire de 4 communes et a initié la construction de l'Unité de Traitement et de Valorisation des Déchets Ménagers du Morne Dillon. En juillet 1999, la création des communautés d'agglomération par la Loi Chevènement offre l'opportunité de donner une autre dimension à cette coopération intercommunale et ce syndicat devient la Communauté d'agglomération du Centre de la Martinique, la CACEM. C'est à cette période que je décide de préparer le concours d'administrateur.

Ensuite, j'intègre le SICSM (Syndicat Intercommunal du Centre et du Sud de la Martinique) au poste de DGA avec pour première mission de gérer un climat social délétère suite à la mauvaise gestion de la structure. Dès mon arrivée, je suis confrontée à un défi de taille : il fallait apaiser les esprits tout en développant la structure. C'est un moment difficile pour moi, j'occupe le poste de DGA alors qu'il n'y a pas de DG, désemparée, je rappelle mon DGS à la CACEM avec l'idée d'être réintégrée mais ce dernier me fait comprendre que ce défi de taille est pour moi et peu de temps après, j'apprends que je suis admissible au concours d'administrateur. Je suis la première femme originaire des Antilles-Guyane à avoir eu mon concours d'administrateur et la première personne à avoir été nommée. Cette nomination a été très médiatisée, j'ai ressenti beaucoup de pression car on a scruté mes faits et gestes à la tête d'une structure très complexe. En 2006, nous organisons les journées de l'eau en Martinique et le syndicat sera cité en exemple : nous prendrons la compétence assainissement, les comptes seront équilibrés, la gestion rigoureuse paie enfin mais malgré tous les efforts déployés les difficultés de personnels persistent.

Pour finir, le président Eugène Larcher me propose alors de rejoindre la communauté d'agglomération de l'Espace Sud Martinique en 2009 afin de la diriger suite au départ de notre collègue Fred Vielet qui prendra les fonctions de DGS à la CACEM.

 

 

Quel projet a particulièrement marqué votre carrière ?

Il y en a beaucoup, mais je choisi la réorganisation du syndicat des eaux dont je parlais précédemment. J'ai beaucoup appris lors de cette expérience, j'ai appris en tant que manager et en tant que femme. J'ai été surprise par les réactions, la maturité et les réflexes que j'ai eu dans ces moments de crise. Je me suis beaucoup remise en question, cela m'a aidé à me construire personnellement et ça m'a permis d'enrichir durablement mon expérience de manager de proximité car entourée d'une petite équipe, mes relations avec les cadres étaient très resserrées. Cet esprit familial a, pour moi, développé mes qualités opérationnelles.

Cette expérience m'a beaucoup appris. Nous avons repris les compétences eau et assainissement au niveau de l'agglomération en 2017, la structure financière et administrative du syndicat s'était détériorée mais retravailler avec mes anciens collaborateurs m'a permis de gérer ce transfert beaucoup plus aisément.

 

Quel est votre sujet d'actualité ?

Dès mon arrivée, notre président, Eugène Larcher, m'a demandé de mettre en place des procédures d'organisation et administratives qui fonctionnent car une fois de plus, le climat social était compliqué. C'est une constante dans mon parcours professionnel : j'ai toujours été appelée pour réorganiser les structures, les services… je crois que c'est mon karma !

Nous sommes passés de 70 agents à près de 300 en quelques années et nous sommes répartis sur 6 sites différents. Les transferts de compétences et les évolutions institutionnelles ont complétement redessiné l'organisation de l'agglomération. Avec la création de la collectivité unique, nous sommes devenus la 3ème collectivité de Martinique par la population. Même si cela fonctionnait au quotidien, il nous manquait quelque chose de fondamentale : le sens, la vision managériale.

Ici, l'enjeu était de faire comprendre aux agents que chacun avait un rôle à jouer pour délivrer un service de qualité à nos citoyens-usagers. Pour ce faire, nous avons développé une démarche « éco-exemplaire » qui s'appuie sur l'analyse systémique de notre organisation et la notion d'écologie car tout est lien. Cette démarche  se concrétise par  une prise en compte du développement durable dans la réalisation de nos projets  et la décision de placer l'humain au centre de toutes nos démarches pour arriver à ce qu'on appelle un « management écologique ». J'ai démarré cette aventure par un moment fort où le 22 mars 2012 nous avons réuni l'ensemble du personnel pour présenter cette démarche. Nous avons symbolisé cette journée en créant un projet artistique commun sur la base du volontariat. L'idée était de réaliser quelque chose ensemble afin de montrer que chacun peut porter sa pierre à la  « construction de la cathédrale » ! Tout ceci avait pour objectif de responsabiliser les agents et d'être dans une démarche de confiance, le message est clair : tout le monde se plaint des dysfonctionnements  mais tout le monde est responsable dans la réussite ou l'échec  du projet collectif au service nos administrés. C'est la ligne directrice de ce changement philosophique que j'ai souhaité insuffler dans mes équipes ces dernières années : le changement commence par chacun d'entre nous. L'étape suivante est la rédaction ensemble du  projet d'administration en faisant le lien entre ce management écologique et le contrat de mandature mais également en adoptant une charte des valeurs que nous souhaitons partager pour un bien vivre ensemble au sein de la collectivité.

Pour finir, j'ai suivi une formation de coach pour retrouver de l'élan, une forme d'inspiration et une nouvelle énergie. Notre métier nous demande sans arrêt de nous renouveler, d'acquérir de nouvelles compétences, de se remettre en question. Hier, j'avais tendance à être un manager dans le contrôle alors qu'aujourd'hui, j'aspire à devenir  un « leader de transformation ».  Pour être plus concrète, j'essaie d'incarner véritablement les actions que je porte et de me rapprocher au plus près de celles que je fais porter par mes collaborateurs.

Mon nouveau défi est de sensibiliser mes collègues de toutes les communes membres de l'agglomération afin de déployer cette nouvelle approche du management à l'ensemble des agents de notre territoire.

 

Qu'est-ce que vous apporte l'ADGCF ?

L'association représente pour moi une opportunité, celle de mettre en réseau mes collègues DGS et DGA des Antilles Guyane et de partager cette nouvelle vision du management territorial.

En 2016 en Martinique et en avril dernier en Guadeloupe, l'ADGCF, nous a permis de nous rencontrer, de créer du lien, de bénéficier des expériences de nos collègues ultramarins mais également de ceux de métropole car même si nous gardons nos spécificités, nous partageons souvent les mêmes problématiques.

À présent, je souhaiterai encore développer les activités de la délégation régionale en mettant vraiment l'accent sur l'échange d'expériences et leur valorisation. Échanger nous permet de nous inspirer, d'aller plus loin et d'éviter les erreurs. Cela nous permet également d'être moins seul dans des postes où nous le sommes au quotidien. C'est mon objectif de délégué régional pour les mois à venir.

[24/05/2018]