Maître de conférences en sciences politiques à l'Université d'Amiens, Sébastien Vignon, a codirigé, avec Rémy Le Saout, maître de conférences en sociologie à l'Université de Nantes, une étude* consacrée à la place de l'intercommunalité dans les élections municipales de 2014. Interview.


Interview de Sébastien Vignon

Quels étaient les objectifs de l'étude que vous avez codirigée avec Rémy Le Saout à l'occasion des élections municipales et intercommunales de mars 2014 ?

L'enquête multi-sites (plusieurs grandes villes, des communes rurales et périurbaines) que nous avons menée visait à observer si le développement renforcé  de  l'intercommunalité et la mise en oeuvre de nouvelles réformes (réforme des collectivités territoriales 2010, loi Valls 2013, loi Maptam 2014) faisait évoluer la manière dont les candidats présentent l'intercommunalité lors des campagnes électorales aux élections municipales. Les prétendants à la mairie font-ils de la coopération intercommunale un enjeu saillant de leur campagne ou, au contraire, l'euphémisent-ils dans leur discours ? L'application des réformes a-t-elle contribué à rendre plus visibles les enjeux intercommunaux aux yeux des citoyens ? Un premier groupe de chercheurs s'est focalisé sur la préparation de la campagne, plus particulièrement sur les principes de constitution des listes. Un second  a observé le déroulement des campagnes et les registres d'évocation de l'intercommunalité. Enfin, un dernier groupe a analysé la période post-campagne, plus communément appelée « le troisième tour ».

 

La réforme du mode de scrutin (l'introduction du scrutin dit « fléché ») a-t-elle permis une plus forte présence de l'intercommunalité dans les campagnes électorales ?

Les campagnes municipales restent, comme en 2008, principalement structurées autour d'enjeux communaux. Cependant, l'intercommunalité a été plus présente mais dans des formes et des registres d'évocation particuliers. En effet, l'application du scrutin fléché a surtout été l'occasion pour les candidats de se livrer à un exercice de pédagogie intercommunale dans le prolongement de la campagne d'information entreprise par le Gouvernement. La présentation de l'intercommunalité aux citoyens s'est effectivement limitée à une simple explicitation des modalités de vote. Rares sont les candidats ayant débattu de l'action publique intercommunale et encore plus rares sont ceux qui en ont fait un enjeu majeur de leurs discours de campagne. Les débats et les controverses restent focalisés sur des préoccupations municipales même si les projets ou réalisations évoqués par les candidats relèvent de compétences communautaires. Les candidats se présentent  avant tout comme les ardents défenseurs des intérêts municipaux. Les propriétés politiques des institutions communautaires sont passées sous silence. Soit les candidats valorisent leur rôle de courtier au sein des arènes intercommunales, qui consiste à y capter de nouvelles ressources (finances, expertise, équipements et services), soit ils affichent leur volonté de lutter contre toute forme de dépossession du contrôle de l'action publique municipale par les structures de coopération intercommunale. L'introduction du scrutin fléché n'a finalement pas bouleversé l'économie générale des campagnes électorales sur le terrain municipal.

 

Le scrutin fléché a-t-il eu des effets sur la constitution des listes municipales ?

Le « fléchage bloqué » sur les premiers membres de la liste municipale a favorisé une approche « municipaliste » du scrutin. La liste intercommunale a surtout été considérée comme une liste secondaire par les candidats, comme une application quasi mécanique de la liste municipale. Ce qui ne signifie pas que l'ordre des places sur la liste municipale n'ait pas provoqué d'âpres négociations en amont de la campagne. Mais si tel est le cas, celles-ci n'ont pas été rendues publiques. Par conséquent, l'électeur s'est avant tout déplacé pour voter une liste et un programme orienté sur la défense des intérêts municipaux.

 

Avez-vous observé des différences selon les sites d'observation retenus dans votre enquête ?

Il faut éviter d'avoir une lecture homogénéisante et unificatrice des campagnes électorales. Si toutes ont pour enjeu la conquête d'une mairie et ultérieurement d'une place au sein des conseils communautaires, les spécificités des configurations locales font que les campagnes prennent des formes variées. Par exemple, à Aix-Marseille, les questions métropolitaines ont suscité des débats, plus particulièrement par ceux qui s'opposent à la formation d'une grande métropole. À l'inverse, à Lyon, Nice ou Rennes, ces enjeux ont été partiellement euphémisés. Comme à Amiens d'ailleurs où le projet de construction d'un tramway aurait pourtant pu laisser croire que les politiques communautaires relatives aux transports auraient été un sujet central de la campagne municipale.

 

Concernant le « troisième tour », quelles évolutions marquantes avez-vous observé ?

Le caractère jusqu'ici peu concurrentiel des élections intercommunales s'est légèrement effrité. C'est ce que tend à montrer la multiplication du nombre de prétendants, due essentiellement à la relative rareté des postes de vice-président. Les candidats ont parfois mobilisé leur appartenance partisane pour la convertir en ressource électorale dont l'usage prend des formes variées selon les configurations locales (ralliement, opposition, disqualification, distinction...). Pour autant, il faut se garder de voir dans ces joutes électorales spécifiques l'avènement d'une politisation renforcée. Les oppositions partisanes, bien que partiellement activées au moment de la constitution des exécutifs communautaires, vont inévitablement se heurter aux processus d'institutionnalisation des alliances qui organisent structurellement les communautés et devraient ainsi être contenues. Si bien que c'est moins cette dimension qu'il convient de retenir que la très grande permanence du processus de sur-sélection sociale des responsables communautaires. Les réformes engagées n'ont en effet guère affecté, ou à la marge, un ordre communautaire qui assure la promotion de profils d'élus qui ne sont que très imparfaitement les reflets sociologiques des conseils municipaux et qui contribue toujours à concentrer le pouvoir politique au profit des maires les plus puissants (maire de la ville-centre, cumul de mandats).

* Une invité discrète. L'intercommunalité dans les élections municipales de 2014. Publiée en avril prochain aux éditions Berger Levrault, cette étude a été menée en partenariat avec l'ADGCF et l'AdCF.

[08/04/2015]