Xavier PIERRE*, Enseignant-Chercheur associé à l'ISEOR, IAE de Lyon (Université jean-Moulin) et membre du comité exécutif de LIPT (Laboratoire d'Ingénierie pour la Performance des Territoires), met en lumière des méthodes innovantes susceptibles de dégager des gisements de performance sociale et économique au sein des collectivités.


Interview de Xavier PIERRE

Pouvez-vous vous présenter ? Qu'est ce que le projet LIPT et qui représentez-vous ?

Le Laboratoire d'Ingénierie pour la Performance des Territoires (LIPT) regroupe des Consultants-Enseignants-Chercheurs affiliés à l'Institut de Socioéconomie des Entreprises et des Organisations (ISEOR) qui travaillent sur des problématiques d'efficience organisationnelle, de maitrise des ressources et de développement endogène du couple organisation-territoire.

L'idée sous-jacente est qu'il est nécessaire de renforcer les coopérations entre les acteurs du territoire pour disposer de territoires gagnants en terme de développement de la richesse économique, des emplois, de la qualité des services rendus aux populations. Le développement de coopérations stratégiques efficaces et durables passe par un pilotage bien mené.

 

Comment parvenir aux buts que vous exposez ?

Pour se faire, il est nécessaire d'actionner de nouveaux leviers en accompagnant le changement structurel et managérial des collectivités en charge de la gestion des territoires, telles que les intercommunalités. Le LIPT propose aux intercommunalités d'expérimenter une solution méthodologique innovante pour améliorer l'usage des ressources de leurs territoires, déployer des projets prioritaires, dynamiser ses entreprises, aider les organisations et ses acteurs à développer leurs performances collectives et durables.

 

Qu'entendez-vous par performance ?

Améliorer la performance des territoires, c'est d'une part, développer les coopérations entre ceux qui font le territoire : les collectivités, les entreprises privées/publiques/parapubliques, les acteurs associatifs et institutionnels. D'autre part, c'est améliorer les performances socioéconomiques de chacune de ces organisations (entreprises, collectivités), les rendre plus fortes, plus proactives, pour développer leurs résultats économiques, accompagner leur capacité à croitre et à embaucher, stimuler des relations gagnant-gagnant entre les entreprises et leur territoire.

En jouant sur la qualité du fonctionnement collectif du territoire, il est ainsi possible d'accroitre la qualité des services pour les habitants, de mieux répondre aux problématiques des entreprises, de développer des projets structurants et fédérateurs. Pour résumer, il s'agit d'améliorer le produit intérieur des territoires, en animant les relations entre acteurs, et ce de manière mesurable.

 

Quel est votre champ d'intervention ?

Nous intervenons aussi bien dans des entreprises que sur des territoires afin d'agir sur des problématiques de développement endogène par la mise en place de méthodologie scientifique : le management socio-économique développé par l'équipe du professeur Henri Savall de l'Institut de Socioéconomie des Entreprises et des Organisations (ISEOR), à laquelle les membres du LIPT sont affiliés.

 

Quel est l'ancrage théorique de cette méthodologie d'intervention ?

Cette démarche trouve son origine dans la pensée de François PERROUX pour un humanisme exigeant. Elle repose notamment sur le triptyque « rigueur, respect d'autrui, douceur de vivre » dans la perspective de concilier performances sociales et économiques. Cette méthodologie permet notamment de mener des conduites de changement efficaces et efficientes.

 

Quels ont été vos résultats de recherche sur vos champs d'investigation ?

Les résultats scientifiques du centre de recherche ISEOR sont qu'une organisation génère des dysfonctionnements ; ces « douleurs de fonctionnement », formes d'hémorragies internes peuvent être classées dans 6 grands thèmes pathologiques du fonctionnement d'une organisation humaine : Conditions de travail / Organisation  du travail / Communication-Coordination-Concertation / Gestion du temps / Formation intégrée / Mise en œuvre stratégique.

La mesure sur un plan financier de ces anomalies de fonctionnement, appelées coûts-cachés (contraction de coûts et performances cachés), oscille entre 15 000 € et 60 000 € par personne et par an.  Ces résultats de recherche reposent sur une large base statistique d'étude de terrain – recherche-interventions – menées auprès de 1 300 organisations dans 32 pays, 4 continents et 70 secteurs d'activité différents.

 

Plus concrètement, quelle ingénierie déployez-vous pour conduire ces changements structurels, organisationnels et managériaux ?

Le centre de recherche ISEOR a donc développé, au fil des 40 années de recherche une ingénierie d'intervention, que nous pourrions nommer la « consultance scientifique des organisations ». Le déploiement de cette ingénierie d'intervention de type socio-économique montre que 30% à 55% de ces sommes peuvent être converties en valeur ajoutée et ce dès la première année. Une intervention consiste au déploiement de trois axes forts :

  • L'axe processus : réaliser des diagnostics qualitatifs, quantitatifs et financiers avec au moins 60% des personnes travaillant dans le périmètre sélectionné. Suite à cela une méthodologie de groupes de projets est mise en place pour élaborer des alternatives préférables au fonctionnement actuel. La mise en œuvre des projets par les groupes de travail est ensuite minutieusement préparée pour favoriser le passage à l'acte et pour engager des projets de transformations organisationnelles structurés et synchronisés. Les résultats sont ensuite évalués pour mesurer le chemin parcouru.

  • L'axe outil : Il s'agit de former tous les managers pour améliorer leur compétences managériales autours d'outils liés à la gestion du temps (amélioration de la délégation concertée, meilleure planification, etc.) ; à la gestion des ressources humaines (adéquation produits/compétences internes, grilles de compétences, mobilisation du personnel, etc.) ; au partage de l'intention stratégique pour coordonner et améliorer la mise en œuvre de la stratégie à tous les niveaux associé à la mise en place d'indicateurs de suivi de la performances (plans d'actions prioritaires et tableaux de bords de pilotage) ; à l'amélioration de la négociation éclairée des performances attendues et de la répartition de la valeur ajoutée créer pour une plus forte mobilisation et implication des acteurs stratégiques (contrat d'activités périodiquement négociables).

  • L'axe politique : il s'agit d'accompagner les décideurs sur les thèmes de choix stratégiques ; définition des règles du jeu ; organisation et déploiement des ressources ; développement des systèmes d'informations ; structuration et changements organisationnelles ; développement et répartition des ressources humaines ; choix des systèmes de gestion.

 

Pourquoi vous-intéressez-vous aujourd'hui aux intercommunalités ?

Dans un contexte nouveau de crise économique et de crise de l'endettement des États et des collectivités, il convient d'identifier de nouveaux gisements de performance dans l'environnement des entreprises et dans les relations inter organisationnelles. Le projet LIPT s'inscrit dans cette dynamique de recherche et d'expérimentation, en mettant en place cette mécanique qui nous permet d'intervenir sur les territoires, de mener des conduites du changement dans un environnement public complexe, dans une perspective de transfert de l'ingénierie d'intervention socioéconomique développé par l'ISEOR à l'échelle méso-économique.

 

Que pouvez-vous nous apporter ? Quelle est votre valeur ajoutée ?

Si l'ISEOR a clairement démontré les gisements significatifs de coûts cachés au sein des entreprises et des organisations (15 à 60 K€ par personne et par an), nos travaux récents, menés sur des territoires, démontrent qu'il existe également des gisements de performances cachés dans les interfaces entre les organisations représentant un volume de coûts cachés approximativement similaire à ceux trouvés dans les organisations.

Ces sommes pèsent sur l'efficience de l'action publique, l'innovation, la compétitivité et par voie de conséquence sur la qualité de service public local. Or, cette méthodologie permet de dégager du temps, à budget et effectif constant, qui peut ensuite être réalloué à des activités et à des missions jugées à plus forte valeur ajoutée.

Ainsi, la mise en place de cette ingénierie permet aux territoires de mieux faire face aux changements qu'ils subissent et de mieux s'organiser aux contraintes budgétaires inédites actuelles. C'est une voie pour répondre à l'enjeu d'efficience des politiques intercommunales.

 

Quelles sont vos perspectives ?

Aujourd'hui, notre volonté est d'accompagner les intercommunalités par le biais des DGS notamment pour structurer et renforcer le pilotage des coopérations entre les organisations impliquées, tout en accompagnant la montée en compétences managériales des décideurs.

 


Auteur de l'ouvrage Pilotage institutionnel des coopérations interorganisationnelles - La mise en œuvre de stratégies territoriales, Éditions Universitaires Européennes (2011).

[13/06/2015]